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Quelques livres pour sortir des sentiers battus



Catherine LORENT : Florent SCHMITT. Bleu Nuit éditeur, coll. Horizons n°27, 2012, 176 p., 20 Euros.
http://www.bne.fr

La collection de (trop courtes) monographies proposée par Bleu Nuit accueille régulièrement des livres traitant de compositeurs mal servis par la bibliographie. En confiant la biographie du « sanglier des Ardennes » à Catherine Lorent, l’éditeur ne se trompait pas d’auteur puisque celle-ci a mené d’importants travaux de recherche sur Paul Dukas puis sur Florent Schmitt (sujet de sa thèse de doctorat). Dans le petit format imparti, elle réussit à bien faire revivre la place de ce compositeur en son temps (on méconnaît aujourd’hui l’éminente considération dont il jouit de son vivant, sans jamais sacrifier sa rudesse de style ni son franc-parler), et, avec objectivité, ne néglige rien des polémiques engendrées par les comportements contestables du musicien pendant l’Occupation ; les éléments du dossier judiciaire de Florent Schmitt conservé aux Archives Nationales – dont elle fait état – permettent de remettre à leur juste place ses participations à des mouvements tel "Collaboration", fréquentés plus par aveuglement et complaisance pour des initiatives artistiques nationales que par engagement politique. Cela ne doit pas nous conduire à ignorer que, loin de verser dans l’attitude du "musicien officiel" malgré son succès, Florent Schmitt demeura toute sa vie un anti-académique virulent, ardent pourfendeur de tous les conformismes et non moins ardent soutien des novateurs ainsi que de ses cadets : « Public transporté quand même, par habitude ; mais je déteste les transports en commun », écrit-il dans un de ses nombreux articles de critique musicale qui, assaisonnés de son humour décapant, donnent lieu à l’un des chapitres les plus savoureux du présent livre ! Ce polémiste incisif (« Le critique qui a peur de faire de la peine ne peut être critique », déclarait-il), qui qualifiait le Boléro d’ « erreur unique dans la carrière de » Ravel, sut défendre vigoureusement le Pierrot lunaire ou les Cinq Pièces op. 16 de Schoenberg, et manifesta une admiration suprême pour le Stravinsky de l’époque des Ballets russes (le tournant néo-classique du cher Igor le déçut en revanche). Jeune compositrice encouragée par Florent Schmitt, Rolande Falcinelli fréquentait souvent les « jeudis de Saint-Cloud » (en cette agréable périphérie, le musicien demeura plus de 40 ans), ce qui lui permit d’entendre le maître de céans raconter sa participation enflammée à la "bataille du Sacre", où il avait lancé cette réplique inoubliable en direction du chef d’orchestre : « Encore une fois, pour les poules du XVIème qui n’ont pas compris ! ».

Mais il serait temps de redécouvrir la musique extraordinairement musclée, « barbare », de Florent Schmitt, charriant « la rauque férocité des passions débridées », selon la judicieuse expression de Roland-Manuel citée par Catherine Lorent. La musicologue sait trouver des mots forts, évocateurs, pour transmettre le sentiment de débordante énergie que véhicule l’écriture toujours chargée et somptueusement colorée de Florent Schmitt ; que d’œuvres tombées dans l’oubli, qui ne sont pas inférieures au Psaume XLVII ou à La Tragédie de Salomé ! L’orientalisme chez ce compositeur ayant fait l’objet de la thèse de Catherine Lorent, on ne s’étonnera pas de trouver un chapitre entier sur ce thème, mais elle attire notre attention sur bien d’autres pages (de musique orchestrale, chorale, ou pour les effectifs chambristes les plus divers) et nous donne grande envie de les entendre ou réentendre !

On regrettera juste l’absence, dans ses commentaires et jusque dans la chronologie de Schmitt en fin de volume (!), d’une pièce pourtant importante dans le mouvement de résurrection de l’instrument à cordes pincées : Clavecin obtempérant op. 107 (1945, dédiée à Marcelle de Lacour – une amie intime de la mère de Rolande Falcinelli – qui devint en 1955, grâce à Marcel Dupré, le premier professeur de clavecin du Conservatoire de Paris) ; le titre est bien dans le caractère de son auteur et, de fait, les sautereaux doivent obtempérer à une écriture aussi pianistique (en réalité) que schmittienne, aux harmonies chargées et percussives (la claveciniste en a "plein les pattes" !) qui, du coup, dégagent des faisceaux de dissonantes résonances entrecroisées ; et à cette soi-disant célébration d’un XVIIIème siècle bombardé sous la mitraille, le jazz vient même apporter sa touche... hérétique.

L’instructive synthèse qu’apporte ce livre nous fait d’autant plus regretter que quelques faiblesses de style et négligences éditoriales n’aient pas été corrigées par le travail de relecture auquel un éditeur digne de ce nom devrait se livrer en compagnie de ses auteurs. On sera moins indulgent pour les erreurs qui accablent notre cher Massenet : pourquoi faut-il que, régulièrement, Anne Massenet, Jean-Christophe Branger, l’auteur de cette chronique montent au créneau pour démentir une légende infondée (colportée sans plus de preuves par un certain clan fauréen) selon laquelle Massenet aurait été « vexé de ne pas avoir été nommé directeur du Conservatoire » de Paris (telle est la phrase de Catherine Lorent, p. 16) ?! Voulez-vous nous expliquer pourquoi Massenet aurait été vexé... de ce qu’il avait lui-même voulu en refusant ladite nomination qui lui était proposée au moment où il envisageait de lâcher l’enseignement pour se consacrer à sa production lyrique, le succès s’affirmant ?! Catherine Lorent, qui décidément méconnaît l’art massenetien, s’engouffre p. 38 dans le cliché du « sentimentalisme à la Massenet », et persiste dans l’erreur en commentant l’article où Florent Schmitt fustige la Marie-Magdeleine de son maître comme « une sorte d’oratorio pornographique »... à ceci près que Schmitt est dans le vrai en parlant d’oratorio, tandis que Catherine Lorent classe l’ouvrage parmi les opéras de Massenet !!!
Allons, allons, encore un petit effort, et le travail de réhabilitation d’un compositeur à la voix inclassable et puissamment individualisée gagnera en crédibilité !



Damien TOP : Émile Goué. Bleu Nuit éditeur, coll. Horizons n°26, 2012, 176 p., 20 Euros.
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Le plaisir littéraire est au contraire l’une des séductions premières que dispense la plume de Damien Top ; ce fin lettré cultive même la coquetterie du mot rare et parsème son texte de références à des auteurs ayant fécondé la pensée des contemporains de son sujet, mais aujourd’hui bien oubliés. Dans la même collection des éditions Bleu Nuit, il nous offre la première biographie consacrée à un compositeur dont, sous ses habits de producteur, il nous fait assidûment redécouvrir la musique, (lire à ce sujet : Le Coin du Discophile Curieux Mars 2012).
Cette vie atypique semble conjuguer les ingrédients d’une fiction réussie : on se croit d’abord dans un roman régionaliste, et l’on s’amuse du climat bien peu propice à l’imprégnation musicale entourant l’enfance du futur compositeur (ah, les chansonnettes qui résonnèrent à ses oreilles !) ; l’on s’ébaubit aussi des livres désuets que cite l’auteur pour recréer le contexte provincial qui façonna les premières impressions de son héros. Ainsi perçoit-on mieux le virage que représenta pour le jeune Émile Goué l’accession à de grandes villes (Toulouse puis Paris) où il put élargir sa culture et professionnaliser le maniement de ses "outils" de compositeur naissant. La musique ayant toujours représenté un cheminement spirituel indispensable en parallèle de ses études scientifiques (il deviendra un professeur très estimé de Sciences Physiques et de Mathématiques Spéciales), Émile Goué affichait déjà un catalogue d’une centaine de pièces (qu’il relégua aux oubliettes) quand il put approfondir sa pratique par des leçons auprès d’Albert Roussel et de Charles Koechlin. À entendre son style ultérieur, on se dit qu’il s’agissait bien là des meilleurs maîtres qui puissent le guider dans son épanouissement.
Mais, bien vite, le "roman" va basculer dans le drame : dès juin 1940, Émile Goué est fait prisonnier de guerre, et la majeure partie de son œuvre va naître en captivité. Certes, la vie dans un Oflag (c’est-à-dire dans les camps allemands réservés aux officiers capturés) n’avait rien de comparable à l’enfer des camps d’extermination, mais on se dit tout de même qu’elle ne devait guère s’avérer paradisiaque puisque ce robuste gaillard d’1,84 m., semblant taillé à coups de serpe dans un bois massif – comme sa musique (la comparaison de Damien Top avec la peinture de Gromaire est très pertinente) –, périt un an et demi après son retour au monde libre, des suites de la dégradation de sa santé provoquée par les conditions d’une détention de cinq ans (les lettres du prisonnier nous permettent de le voir "fondre" de 73 kgs à 61 kgs, et l’évacuation forcée des camps face à l’avancée des Alliés acheva de miner sa résistance). Un destin brisé à 42 ans, dont on se demande quel aurait été l’avenir, tant sa recherche lors des dernières années le conduisait à théoriser son exploration d’une bitonalité devenant polymodalité et « simultanéité chromatique », doublée d’une simultanéité timbrique par la recomposition des alliages instrumentaux (comme une registration à l’orgue colorant le timbre d’une famille par la voix d’une autre, ou par les mixtures). L’amour de la musique, encouragé par les Allemands, permit à la pratique orchestrale et chorale de se développer dans les camps : Émile Goué s’acquit la reconnaissace de ses camarades tant il fut un grand pourvoyeur de musique, leur assurant une évasion spirituelle stimulante, et l’on admirera la haute qualité des programmes de concerts qu’il monta ; on note même une petite pointe d’amertume dans quelques lettres où il rapporte combien sa musique impressionne les officiers allemands. En ce sens, le livre de Damien Top constitue aussi un formidable document, nourri de correspondances et de notes de captivité, sur la vie dans un Oflag, et relativise la brève captivité de Messiaen qui vit naître dans le froid d’un Stalag le Quatuor pour la fin du Temps. Un autre personnage émerge du récit : l’épouse dévouée et tant aimée, Yvonne Goué, qui se dépensa jusqu’à l’épuisement afin que soient jouées en France les partitions que son mari lui faisait parvenir et qu’elle allait inlassablement montrer aux interprètes et aux organisateurs de concerts en faveur des artistes prisonniers. Épurant son style jusqu’à l’austérité, ennemi de l’enjolivement jusqu’à l’ascèse, fidèle à de hautes exigences spirituelles, Émile Goué ne doutait pas de son talent et trouvait dans la fidélité à ses valeurs exigeantes le socle moral lui permettant de tenir et de créer dans des conditions qui en auraient découragé plus d’un. Isolé du monde intellectuel, il put cultiver sa singularité, aiguiser sa réflexion, et bien des citations livrées dans cette biographie seraient à relire, voire à méditer.
Quelques coquilles éparses démontrent une fois de plus que, si l’auteur n’accomplit pas tout le travail éditorial par lui-même, il ne trouvera pas grande aide au sein de la maison d’édition (et Steinbeck n’est pas un romancier anglais, mais américain !)...



Le violon italien – Une seconde voix humaine, ouvrage collectif sous la direction de Frédéric Lainé. Opéra de Dijon, 2012, 275 pages abondamment illustrées, 35 Euros.

L’équipe de l’Opéra de Dijon, sous la direction de Laurent Joyeux, a manifesté un penchant pour le livre, pour le vecteur littéraire en parallèle de la musique, à l’occasion de ses séries thématiques présentant la culture d’un pays ou d’une époque : ainsi sont parus, en marge des programmes de salle, des volumes d’anthologies littéraires sous le titre « La mélodie des choses » (Italie- Hongrie, Paris 1900 Vienne). L’institution franchit aujourd’hui un pas de plus en se faisant éditrice de plein exercice grâce à une association avec Aparté – au rythme d’un livre par an, nous assure-t-on –, et ce coup d’essai est un coup de maître. Un somptueux album retrace l’histoire de la lutherie italienne (Laurent Joyeux continue de pratiquer pour son plaisir le violon, amour qui a rejailli sur ce premier choix éditorial), et régale nos yeux par de magnifiques photos dans un grand format élégamment mis en page. Mais la partie historique et documentaire n’est pas en reste. Sous la direction scientifique de Frédéric Lainé se succèdent des contributions qui enrichissent notre connaissance du sujet : Renato Meucci, en s’intéressant aux évolutions initiées par le fondateur de la dynastie Amati (dès le XVIème siècle), nous indique les voies de pénétration de la lutherie italienne en France et en Espagne par le biais des familles royales ; puis Jean-Philippe Navarre montre comment s’élabore au XVIIème siècle une écriture musicale s’orientant vers des spécificités instrumentales. Anne Houssay décrit la facture façonnée par les diverses dynasties jusqu’au modèle imposé par Antonio Stradivari ; à sa suite, Claude Lebet détaille les influences croisées avec la lutherie germanique (on découvre que de nombreux luthiers allemands, autrichiens, suisses de haut niveau vinrent s’installer à Rome). Le chimiste Jean-Philippe Echard nous éclaire sur les fameux vernis anciens, les démythifiant, stratigraphie, spectrométrie, chromatographie, tomographie à l’appui. Sylvette Millot s’attarde sur une famille de luthiers italiens (les Castagneri et Gaffino) installée à Paris au XVIIIème siècle, puis sur les fameux luthiers français du XIXème siècle, Nicolas Lupot (Laurent Joyeux joue lui-même un Lupot) et Jean-Baptiste Vuillaume, influencés par les Italiens. Bernard Gaudfroy consacre une longue étude – illustrée de nombreux gros plans – à l’évolution de l’archèterie italienne et française. Une autre partie développe, sous la plume d’Anne Penesco, les progrès du jeu violonistique impulsés par les maîtres baroques italiens et les auteurs de traités du XVIIIème siècle, avec une somme d’exemples fort éclairants, puis le même auteur réserve un chapitre entier à Paganini, compilant les témoignages de l’époque. Les violonistes Enrico Onofri (traitant du jeu sur instruments anciens) et Stéphanie-Marie Degand (sur les instruments et archets qu’elle emploie) apportent des points de vue intéressants. Frédéric Lainé braque les projecteurs sur l’alto, élevé à une dignité accrue par Rolla, Bruni, Paganini, et illustre par de nombreux exemples musicaux l’apport de leur technique de violonistes au "grand frère". Seul regret, les trop brèves interviews des violonistes Tedi Papavrami et David Grimal demeurent un peu superficielles et ne permettent pas de les accompagner dans la quête de leur art.
Des entretiens avec les luthiers Frédéric Chaudière (sur les familles Amati et Stradivari), Jacques Fustier (sur les réglages infléchissant d’une touche finale le caractère du son), Bernard Sabatier (sur l’expérimentation de formes nouvelles), Guy Tinel (sur la progression des innovations en France à partir des modèles de Stradivari et Guarneri), mais aussi des cartes, généalogies, notices biographiques, schémas, complètent cette approche encyclopédique qui n’est jamais pédante et toujours captivante. Il n’est pas une page qui ne nous instruise de détails profitables, et l’histoire, la théorie, l’explication physique, la compréhension du jeu des anciens, se conjuguent pour rebondir de chapitre en chapitre et brosser un tableau extraordinairement complet, savant mais d’une lecture agréable. L’œil, au fil des pages, bute sur moins de coquilles et de fautes que dans bien des ouvrages sortis d’éditeurs prétendument expérimentés, et l’on attend avec impatience les prochaines initiatives de cette maison atypique. On notera enfin le prix très modéré de cet ouvrage, certes subventionné, mais à la si riche iconographie. Voilà une idée de cadeau à offir, à s’offrir, et à conserver précieusement dans sa bibliothèque.


Sylviane Falcinelli











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