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I quattro Poèmes-Études op. 26 di Rolande Falcinelli

The four Poèmes-Études op. 26 of Rolande Falcinelli

Les Quatre Poèmes-Études op. 26

Au sortir de la classe d'orgue en 1942, la jeune Rolande Falcinelli se lance à l'assaut des monuments les plus difficiles de son maître Marcel Dupré, et ses programmes de concert dès la fin de la guerre (par exemple au Palais de Chaillot, à Paris, en 1945 et 46) révèlent que la toute récente Suite en Fa mineur ou la Deuxième Symphonie sont devenus des piliers de son répertoire. Le climat est alors à l'émulation parmi les virtuoses les plus douées de « l'écurie Dupré »: Jeanne Demessieux compose ses fameuses Études, Rolande Falcinelli en joue d'ailleurs à Chaillot (Jeanne Demessieux interprètera à son tour l'Épigraphe Funèbre de sa camarade). Puis au début de 1948, Rolande Falcinelli donne sa fameuse intégrale en concert (à la Salle Pleyel et à la Radio française) de l'oeuvre de Marcel Dupré. Compositrice, elle s'attaque dans la foulée au concept de dépassement de soi qui, au fil de l'histoire de la musique, a sans cesse motivé de nouvelles conquêtes dans l'échelle de la technique instrumentale ou vocale. Elle semble y avoir assez bien réussi puisque, à ce jour, les « Quatre Poèmes-Études » sont demeurés un sommet indépassé de la virtuosité organistique! Contrairement à Jeanne Demessieux qui s'en était tenu à des Études au sens strict et abstrait, le modèle de Rolande Falcinelli s'avère clairement les Études d'exécution transcendante de Liszt, c'est-à-dire une sublimation de la recherche de virtuosité transcendante par l' intention pittoresque et poétique.

On peut retracer la composition des premières pièces du cycle en lisant la correspondance fort suivie entre la jeune organiste et Marcel Dupré qui, depuis les États-Unis et le Canada où il est en tournée pour de longs mois, suit de très près le travail de sa disciple. De Montréal, il lui écrit le 24 septembre 1948: « Pour les études, vous avez parfaitement raison. Et comme vous avez raison aussi d'aimer les Études de Chopin et les Transcendantes ! Nous reparlerons de tout cela. L'idée de donner un titre à chacune, de ne pas vous accrocher à une seule formule, d'en faire des paysages, en somme, me plaît infiniment. Nous en reparlerons, surtout du titre. Tel quel, peut-être un peu long, le titre, et aussi : le mot "transcendantes" ferait un peu trop penser à Liszt ». On devine ainsi que le titre initialement prévu ne masquait pas sa source !

La Guitare Enchantée est la première pièce achevée, en octobre 1948. Marcel Dupré en est... enchanté. De Charleston (Virginia), il écrit le 31 octobre 1948: « La "Guitare Enchantée" (il y a des gens qui diront: la "guitariste enchanteresse" quand ils vous entendront et verront jouer une nouvelle Campanella avec vos pieds). Bravo, bon début, idée épatante ».

Puis vient la Danse éternelle de Lakshmi, achevée le 30 novembre 1948, première page orientaliste d'une compositrice qui allait en donner bien d'autres (la mère de Rolande Falcinelli avait séjourné un temps en Extrême-Orient, ce qui marqua la culture familiale de manière indélébile).La réaction de Marcel Dupré est alors plutôt comique, et assez révélatrice d'un de ses travers; de Phoenix (Arizona), il écrit le 9 décembre 1948: « Quant à la "Guitare", et à la nouvelle étude, j'en ai l'eau à la bouche. Beau mode ! Mais ça va être facile, facile, je prévois ça ! Et ça vous sert d'être un peu Bouddhiste (Mais, attention, mon petit chou. Silence, discrétion: Montmartre ! Vous les connaissez les curés...) ». Tout d'abord, Marcel Dupré n'a manifestement pas la culture orientaliste de la famille Falcinelli, et en transbordant Lakshmi des Écritures Hindouïstes vers le Bouddhisme (sagesse sans divinités), il commet une grossière erreur ! Et on dénote une attitude quelque peu pusillanime dans sa crainte que ce penchant pour les spiritualités orientales nuise à la fonction d'organiste de la jeune femme au Sacré-Coeur de Montmartre: en effet, l'agnostique Marcel Dupré avait une sorte de déférence diplomatique envers les autorités ecclésiastiques, dont on trouverait d'autres traces dans son comportement ou ses dossiers...

Une troisième étude, Troïka, suivit au début de 1949. Et le cycle en resta là pendant longtemps. Chacune pousse jusqu'à d'extrêmes limites d'endurance la focalisation sur un problème technique spécifique. La Guitare Enchantée déroule au long de 9 pages (dans sa version initiale, sagement ramenée à 6 pages dans la version préparée pour les États-Unis, sous le titre "The Enchanted Guitar, Poetical caprice and Pedal study") un jeu constant d'arpèges en simple et double pédale sur tout l'ambitus, tandis que les mains sont elles aussi fort occupées harmoniquement et mélodiquement. La Danse éternelle de Lakshmi se présente comme une étude d'indépendance sur 8 pages, avec une double pédale ininterrompue en doubles croches, recouverte d'évolutions tout aussi spectaculaires aux deux mains. Doubles notes et accords répétés, annonce l'en-tête de Troïka, avec, là encore, une double (et triple, et quadruple) pédale en doubles croches staccato, ininterrompue (cela devient une habitude !) sur 7 pages; les mains procèdent sur le même rythme en accords staccato.

Ce sont incontestablement les deux premières pièces que la compositrice joua le plus, et tout spécialement La Guitare Enchantée. Celle-ci, aujourd'hui encore, reste auréolée d'une image mythique dans les propos de tous ceux qui ont entendu évoquer le souvenir des concerts où Rolande Falcinelli fit sensation en l'exécutant... généralement à la suite des Esquisses de Dupré (notamment aux États-Unis en 1950) ! Il semble en revanche qu'elle n'était pas pleinement satisfaite de Troïka, puisque le manuscrit porte la mention au crayon: « à revoir et reprendre ».

Plus de dix ans s'écoulèrent avant qu'un personnage italien n'apporte sa verve à l'ensemble: Scaramuccio, Festa in Taranto (achevée le 27 janvier 1960), avec de joyeux rebondissements rythmiques, étudie cette fois sur 8 pages les trilles en simple et double pédale, les fantaisies manuelles, elles aussi, incorporant par moment des trilles en simples et doubles notes; une dernière page en octaves de pédale sous des trémolos manuels rappelle évidemment l'Esquisse en si bémol mineur de Dupré.

On l'aura compris, ces pièces représentent l'Everest de la virtuosité à l'orgue, et sur les cimes, l'oxygène se fait rare... les compagnons de cordée aussi ! De telles pages sont épuisantes à maîtriser, et elles mettent sans trêve l'interprète sur la corde raide. La compositrice elle-même semble avoir cessé de les jouer après 1964 (c'est-à-dire à l'âge de 44 ans). Les candidats à la relève ne se sont pas bousculés: le 11 novembre 1955 (en atteste son agenda; une telle date ne s'invente pas !), Rolande Falcinelli remettait une copie de La Guitare Enchantée à l'un de ses élèves sur-doué, lequel venait de remporter son Premier Prix à la Classe d'orgue de Marcel Dupré l'année précédente (avec l'Ad Nos ad salutarem undam de Liszt); le jeune homme de 25 ans réussit à vaincre les difficultés de la pièce. Il s'appelait Jean Guillou.

Exactement 50 ans plus tard (en 2005), piqué par la curiosité, le jeune Suédois Hampus Lindwall me demandait la partition des Quatre Poèmes-Études. Il lui fallut le temps d'encaisser le choc (mais tout cela, il le raconte avec humour dans le texte qui suit), puis, à son tour, il vint à bout de La Guitare Enchantée. Il la ressuscita le 22 avril 2007 à Stockholm, d'autres concerts vont suivre ce mois-ci (à Saint-Eustache, Paris, puis à la Cathédrale de Lausanne). Avec une impitoyable affection, je dis à Hampus Lindwall: « Bon courage, Cher jeune Ami, il en reste encore trois... »!

Sylviane Falcinelli

[Les extraits de lettres de Marcel Dupré à Rolande Falcinelli sont ici publiés pour la première fois. Ces lettres appartiennent à la Collection privée Falcinelli]





DON’T TRY THIS AT HOME ! (or, the study of «The Enchanted Guitar » by Rolande Falcinelli)

My friendship with Rolande Falcinelli dates from the 1990’s when I sent a letter with questions about Dupré’s music that I was working at the time. I had already studied exercises from her « Initiation à l’orgue » that my teacher Torvald Torén used for his students and I had heard some pieces played by fellow students. Within the week I had an answer to my letter and a long and friendly exchange started. I went to see her the first time in 1998 in Pau in the south of France and many times should follow. We discussed, we talked and sometimes we could go to a church to play. She would sit next to me, making comments and giving advices.

In the spring of 2005 Rolande Falcinelli’s daughter Sylviane gave me a manuscript copy of the « 4 poetical studies » for organ, composed between 1948 and 1960. I spoke with Rolande about them, and she said that I should « take it easy with them ». Well, that was an advice I followed ! To be sure I even put them in a closet, only to take them out from time to time to show friend organists. The commentary was always the same ; « Not playable ! » and when they saw « The Enchanted Guitar » they usually laughed since the score gives a comical effect by it’s continuos pedal arpeggios…

Then a day Sylviane asked me if I could play this study in a serie of tribute concerts. « Play the guitar study ? » Is it possible ? Most probably not.

However, patience is the key. Like playing a trio sonata, an absolute body balance is required.

First I had to look over the given pedal fingering. Rolande had cute little woman feets and I have 43, European size. This made it difficult for me to pass the legs behind each other in the tempo required. On the other hand, I can play bigger intervals with one foot. One have to chose, on a European organ the pedal board is usually flat and it makes it more difficult to play in the extreme bass or treble register.

The first section gives the pedal patterns for the rest of the piece. The second part is with double pedal, but easier since the right hand hold long chords which gives a stability. Then we have the end… Close your eyes and pray, the last bars are difficult ! Perhaps a more visual effect than a musical one ; parallel arpegios over two and a half octave in both hands and feets. Once again : balance ! This has to be worked out slowly and with technical intelligence aquired from the study of the French modern organ school, Widor, Dupré, Demessieux, etc.

Bi-tonal and impressionistic harmonies give the color of the piece, and musically this work shows what Falcinelli could do with an external influence. In this piece the guitar is present by the pedal arpeggios of course, but also in the accompaniment by broken chords that arrives later in the piece. Such an imitative accompaniment will come back in the later, and very interesting, « Persian miniatures » but in another context and with even more exotic influences…

Hampus Lindwall
(Paris may 2007)
www.hampuslindwall.com





Rolande Falcinelli et Hampus Lindwall à Pau









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