Centenaire de la naissance de Rolande Falcinelli
En cette année commémorative, nous vous invitons à dérouler cette page afin de découvrir plusieurs documents exclusifs vous permettant d’approcher la personne de Rolande Falcinelli à des moments très divers de son parcours.
- En premier lieu, vous entendrez sa voix, grâce à cinq extraits d’entretiens réalisés au soir de sa vie par Marcus Torén.
- Puis vous sont présentées et commentées les reproductions photographiques des programmes de la légendaire tournée nord-américaine de 1950.
- Quelques photos inédites tirées des archives familiales complètent ce panorama, ainsi qu’une page du brouillon au crayon de la cadenza du Mausolée pour orgue et orchestre.
- Prochainement, parution du numéro 50 d’Orgues Nouvelles (automne 2020, avec supplément sur CD et site Internet de la revue), apportant des éclairages non conventionnels sur la musicienne : au sommaire, des articles de Sylviane Falcinelli, Philippe Brandeis, Arthur Nicolas-Nauche, Pascale Rouet (rédactrice en chef de la revue), des témoignages de Loïc Mallié, Olivier Holt, Frédéric Chaslin, Jason Meyer, Pascal Amoyel, une iconographie et une vidéo inédites.
Rolande Falcinelli vous parle…
En 2003 et 2004, l’organiste suédois Marcus Torén, fidèle disciple de son père Torvald Torén et de ma mère Rolande Falcinelli, venait à Pau enregistrer plusieurs heures d’entretiens avec celle qui avait toujours affectueusement suivi son essor. Certaines de ces bandes sont difficilement exploitables car Rolande Falcinelli, « rescapée » dans sa jeunesse de la coqueluche et de la tuberculose, ayant subséquemment développé un état de bronchite chronique à l’âge mûr, « parasitait » l’enregistrement de ses incessantes crises de toux. Remercions Marcus Torén d’avoir sélectionné et nettoyé ces extraits afin de vous faire entendre la voix de celle dont nous célébrons en 2020 le centenaire de la naissance.
Sylviane Falcinelli
Rolande Falcinelli évoque l’éveil de sa vocation, son amour de la danse, ses études musicales, quelques-uns de ses maîtres (Madame Rousseau – épouse de Marcel Samuel-Rousseau – au solfège, Simone Plé-Caussade au contrepoint, Madame Chaumont - assistante d’Isidore Philipp – au piano, Henri Büsser à la composition, Gaston Litaize puis Marcel Dupré à l’orgue), les premières étapes de son parcours, les circonstances qui l’ont amenée à l’orgue [Pau, août 2003] :
Rolande Falcinelli évoque ses adieux de concertiste [Pau, octobre 2004] :
Rolande Falcinelli évoque la console conçue par Pierre Cochereau pour Notre-Dame de Paris [Pau, août 2003] :
Rolande Falcinelli évoque le premier contact comme étudiante avec l’orgue de Marcel Dupré à Meudon [Pau, août 2003] :
Rolande Falcinelli évoque son oratorio La Messiade, son ballet Cecca, la Bohémienne ensorcelée, son Nocturne féérique, ses pièces pour piano et clavecin [Pau, octobre 2004] :
Les programmes de la légendaire tournée nord-américaine de 1950
Introduction (et documents de la collection personnelle) de Sylviane Falcinelli
En 1950, Rolande Falcinelli partait outre-Atlantique accomplir une tournée voulue par Marcel Dupré pour l’imposer sur le sol où lui-même régnait en star incontestée. Le Maître en avait confié l’organisation à Bernard LaBerge, son agent – et celui de Maurice Ravel – pour les USA et le Canada. Les récitals de la jeune Française eurent un retentissement devenu légendaire, comme en attestent les témoignages et l’émotion encore palpable que nombre de représentants de ma génération (ou mes cadets) ont recueillis d’auditeurs désormais âgés (ou aujourd’hui disparus) ayant eu la chance d’assister à l’un ou l’autre de ces concerts dans leur jeunesse. Sa Guitare enchantée, notamment, avait laissé une impression indélébile, et en subjuguant les auditoires par la virtuosité déployée dans cette pièce récemment composée et les Esquisses de Dupré (alors au nombre de deux publiées), la concertiste de 30 ans s’assurait une position au sommet ! En 2000, la rubrique des dates historiques de The American Organist (la fameuse revue de The American Guild of Organists) rappelait même le cinquantième anniversaire de cette tournée.
Pourquoi Rolande Falcinelli n’est-elle jamais retournée sur une terre où on l’attendait avec ardeur ? C’est qu’à son retour à Paris, après les fatigues d’un rythme aussi soutenu de voyages et de performances virtuoses, la guettait une récidive de sa tuberculose… Elle dut se résoudre à ne plus infliger de telles épreuves à son organisme affaibli. Le développement de sa carrière d’enseignante tomba à point nommé, avec bientôt (octobre 1954) la succession de Marcel Dupré à la classe d’orgue et d’improvisation du Conservatoire National Supérieur de Paris. Ainsi se profilait une vie stable, une sécurité matérielle, plus en phase avec les fragilités de sa santé. Mais je me souviens que, même après la date de sa retraite du Conservatoire de Paris (1986), lui parvenaient des messages des USA lui disant combien on l’espérait là-bas ; elle persévéra pourtant dans son refus, compréhensible si on se remémore l’épreuve de la maladie, regrettable d’un point de vue de l’impact qu’aurait eu ce retour.
Je me dois maintenant d’introduire par quelques remarques la découverte que vous ferez des programmes ici reproduits. On peut sourire à la lecture de successions d’œuvres de type « anthologique », allant de Daquin à la musique contemporaine… surtout quand on sait combien Rolande Falcinelli se rebella plus tard contre ces conventions et, progressant sur la voie de la maturité et de la cohérence musicale, imposa des programmes très « composés » autour de thématiques (musicales, poétiques, spirituelles) ou d’éclairages mutuels entre les œuvres choisies. Mais c’était alors la règle du genre (surtout pour une concertiste présentant le répertoire de son pays), et une nouvelle venue, qui proposait déjà des pages nouvelles, audacieuses, se devait de se plier à quelques concessions. Autre trait – hélas toujours répandu dans les concerts d’orgue ! – qu’elle combattit plus tard avec une inlassable énergie, mais auquel elle se soumettait encore en 1950 : la programmation d’un mouvement isolé de symphonie (ou de l’Ad nos ad salutarem undam… oui, cela se pratiquait en ce temps-là !). À l’âge mûr, la compositrice qu’elle était se refuserait à déstructurer les polyptyques voulus par les créateurs, et insisterait pour que les organistes jouent des symphonies, sonates, fantaisies complètes, à l’instar des chefs d’orchestre et pianistes.
Enfin, ceux qui connaissent les goûts de Rolande Falcinelli découvriront avec ahurissement la présence récurrente d’un Carillon de Leo Sowerby : inutile de préciser que ce hiatus stylistique lui avait été imposé par l’organisateur afin de plaire aux « puissances invitantes » (Sowerby était une gloire dans l’Amérique de l’époque, ce qui ne répare en rien l’affligeante platitude d’une musique si conventionnelle ! Pensons à ce qu’ont apporté, depuis, au répertoire d’orgue d’admirables compositeurs américains tels Ned Rorem ou William Albright !). Ah, combien, dans mon enfance, ai-je entendu ma mère vitupérer contre cette obligation qui lui avait été faite en 1950 et menacer de jeter à la poubelle les partitions qu’on lui avait alors envoyées (et continuait de lui envoyer !) de cette célébrité d’un temps (heureusement) révolu : seul mon attrait pour les souvenirs cocasses me faisait alors sauver la pile du sort funeste qui lui était destiné !
Le lecteur d’aujourd’hui s’attachera évidemment à la diversité des pièces de Marcel Dupré et d’elle-même (encore au début de sa production organistique, mais avec quel relief !) qu’elle programma au cours de cette tournée.
Afin de vous faire voyager et vous permettre de visualiser les divers édifices, je joins à chaque étape le lien vers un historique du lieu (en revanche, dans nombre de cas, les instruments – Aeolian-Skinner ou Casavant - ont changé).
Cliquez sur les photos pour agrandir
- 18 Avril 1950, Westminster Choir College, Princeton, New Jersey,
www.rider.edu/wcc/about/historic-westminster
- [Sans précision de date] 1950, The First Congregational Church, Washington, D.C.,
www.firstuccdc.org/history/
(vous y découvrirez qu’à cette période, le bâtiment fut déclaré dangereux, mais que, par un vote, les membres de la congrégation s’opposèrent à un déménagement ; maintenant, la communauté occupe une architecture ultra-moderne !)
www.downtowndc.org/go/first-congregational-united-church-of-christ/
- 26 Avril 1950, The Church of the Ascension, Fifth Avenue, New York,
www.ascensionnyc.org/history/art/
- 1er Mai 1950, Walnut Street Presbyterian Church, Philadelphia, Pennsylvania,
www.en.wikipedia.org/wiki/First_Presbyterian_Church_(Philadelphia
- 2 Mai 1950, Trinity College, Hartford, Connecticut,
www.en.wikipedia.org/wiki/Trinity_College_(Connecticut)
- 4 Mai 1950, First Baptist Church, Elisabethton, Tennessee,
www.fbcelizabethton.org/history/
- 7 Mai 1950, Brown Memorial Church, Baltimore, Maryland,
www.en.wikipedia.org/wiki/Brown_Memorial_Presbyterian_Church
- 9 Mai 1950, Saint James United Church, Société Casavant, Montréal, Canada,
www.fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_unie_Saint-James
- 16 Mai 1950, Saint John’s Episcopal Church, Detroit, Michigan,
www.wikiwand.com/en/St._John%27s_Episcopal_Church_(Detroit,_Michigan)
- 22 Mai 1950, First Methodist Church of Oak Park, Chicago, Illinois,
www.openhousechicago.org/sites/site/first-united-methodist-church-of-oak-park/
- 26 Mai 1950, Broad Street Presbyterian Church, Columbus, Ohio,
www.rogerskrajnak.com/worship/Archive/worship-4.htm
- 5 Juin 1950, Church of the Advent, Brimmer Street, Boston, Massachusetts,
www.theadventboston.org/about-us/a-brief-history-of-the-parish/
(ne manquez pas, dans le fil de cet historique, la photo d’Albert Schweitzer à l’orgue en 1949)
Quelques photos extraites de la collection familiale, commentées par Sylviane Falcinelli
Cliquez sur les photos pour agrandir
- Louis-Napoléon Falcinelli, ainsi baptisé en hommage à Napoléon III auquel les Italiens descendants des combattants de l’unité nationale (tel notre aïeul) conservaient une reconnaissance pour le soutien apporté aux guerres d’indépendance puis à Victor-Emmanuel II, naquit à l’extrême fin du Second Empire et mourut en 1937 : voilà pourquoi Rolande Falcinelli, irrémédiablement fâchée avec les dates de l’histoire de la musique (et pourtant mère d’une musicologue !), disait que la date de mort de Charles-Marie Widor, Louis Vierne, Albert Roussel, Maurice Ravel, était la seule qu’elle fût capable de retenir puisque ces quatre compositeurs avaient eu la bonne idée de décéder la même année que son grand-père ! Louis-Napoléon, artiste peintre, engendra trois enfants peintres : Robert, tué à 18 ans dès les premiers combats de la Guerre de 1914, Jeanne – dite Nina, née en 1898 – mère de Rolande, et Marcel (né en 1900).
- Nina Falcinelli au temps de sa splendeur (effet de mousseline à bord d’un bateau). Jean Guillou, qui avait eu de profondes conversations (de rares cartes postales en perpétuent la trace) empreintes de sympathie mutuelle avec ma grand-mère au temps où il étudiait auprès de Rolande Falcinelli, évoquait volontiers le pouvoir de séduction qui émanait de l’artiste peintre. Retrouvant un jour cette photo au fond d’une boîte familiale, je décidai de la soumettre à Jean Guillou afin de savoir si elle correspondait à sa perception du personnage; aussitôt l’image posée sur sa table, il s’écria, tout émoustillé : « C’est tout à fait ça ! ». Son jugement fera donc foi puisque, pour ma part, je n’ai connu qu’une femme âgée.
- Nina Falcinelli, photos de studio à New York, 1950. Nina avait accompagné sa fille Rolande lors de sa tournée américaine de 1950, afin de veiller à l’intendance. Nos deux dames en profitèrent pour faire une séance de photos dans un studio new-yorkais. Nina, dont le tempérament assez mondain avait le don d’exaspérer sa fille (allergique, elle, aux mondanités !), savait jouer avec l’objectif du photographe, d’autant qu’elle pratiquait elle-même avec talent la photographie. On voit ici les épreuves et le tirage « artistique » qui s’ensuivit. En revanche, Rolande devait parfois forcer sa nature pour prendre la pose, ce qui fait que le résultat de la même séance new-yorkaise s’avère, en ce qui la concerne,… définitivement impubliable !
- La classe de solfège de Madame Rousseau (épouse de Marcel Samuel-Rousseau) au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris [Écouter Rolande Falcinelli évoquer Madame Rousseau dans le premier extrait sonore de l’entretien avec Marcus Torén].
Rolande Falcinelli (née le 18 février 1920) est la deuxième (assise) en partant de la droite ; dans mon article du numéro d’automne 2020 d’Orgues Nouvelles, j’explique ce regard triste, perdu dans un insondable lointain, qui frappe sur toutes ses photos d’enfance ou d’adolescence (et même au-delà…).
Au premier plan à gauche, vedette de la classe par sa précocité, le charmant petit garçon est le claveciniste Robert Veyron-Lacroix (né le 13 décembre 1922), qui enseigna son instrument au CNSM de Paris de 1967 à 1988. Précision utile pour désamorcer de fausses informations : Robert Veyron-Lacroix et moi sommes les seuls à détenir le record de jeunesse de la classe de solfège du CNSM pour y être entrés avant l’âge limite d’admission fixé à 10 ans par le règlement (et sortis à l’issue d’une seule année scolaire), ce qui requérait une dispense d’âge du Directeur de l’établissement. Voilà qui permet de dater la photo en tenant compte des (presque) trois années d’écart entre Rolande et Robert, futurs professeurs dans la même maison.
Madame Rousseau, admirable professeur à la longévité exceptionnelle qui, après sa retraite du Conservatoire, poursuivit l’enseignement à travers un cours privé fort réputé, forma parfois jusqu’à trois générations d’une même famille ; c’est ainsi que, attentive aux dons du bébé de son ancienne élève Rolande, elle décida de me faire commencer l’étude du solfège peu après que ma mère, en pédagogue avisée, m’eut inculqué les notes de musique à l’âge de 2 ans et demi. Je me souviens encore de son allure aristocratique, de son port de tête altier, qui m’impressionnaient tant.
- Une des premières photos publicitaires de la jeune concertiste (probablement vers 1948). Élégance d’un autre âge…
- Un moment de détente au square (années 50).
- Une page du brouillon au crayon de la cadenza du Mausolée pour orgue et orchestre de Rolande Falcinelli.