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Maurizio Baglini



Maurizio Baglini à Madiran

Muser le long de la route des festivals mène à de pittoresques lieux, loin des autoroutes de la culture. Aux heures révolues de la prospérité, on put se gausser de la prolifération des festivals en France, chaque village doté d’une jolie église voulant attirer sur ses pierres les trompettes de la renommée, au point que les touristes et mélomanes sollicités par une inflation de propositions ne savaient plus où donner de la tête. Car les festivals se proposaient, en ce temps-là, de fournir une offre culturelle de prestige aux vacanciers désertant les salles des grandes capitales.
Aujourd’hui, la problématique a bien changé, et le public visé n’est plus le même. Vacances plus brèves et moins éloignées se disputent les faveurs de citadins désargentés, tandis que se confirme la préoccupation d’améliorer l’accès à la culture de nouveaux publics, notamment dans les régions excentrées ou les zones rurales. La capillarité de l’offre musicale subit de surcroît un étranglement, de par la quasi absence de retransmissions sur les chaînes de télévision généralistes ; seules des chaînes telles Arte ou Mezzo prennent le relais, mais le geste de sélectionner leurs programmes relève d’une démarche déjà cultivée de la part d’un nombre (hélas) restreint de téléspectateurs, tandis qu‘autrefois (il y a de cela quelques décennies...) l’abondance des retransmissions de concerts et d’opéras en "prime time" ou le dimanche après-midi, mettait la musique à portée d’écoute de tout un chacun.

Au vu du contexte actuel, l’organisation d’une série de concerts d’été dans une petite commune témoigne d’un effort pour apporter la "musique vivante" à des habitants qui trouveraient peu d’occasions d’assister à ce genre de manifestations dans leur quotidien. Mais tout devenant plus difficile en période de crise économique, le mot "effort" prend un sens décuplé, et il faut beaucoup de dévouement de la part d’équipes de bénévoles pour donner vie à des projets qui ne cèdent rien en termes de qualité. Cette année a vu la réduction drastique des subventions accordées à maints festivals, au point de menacer l’existence de plusieurs d’entre eux. Donner en pleine campagne des concerts que les grandes villes pourraient leur envier, telle est la vocation de ces bénévoles, qui doivent à cette fin tisser des liens de confiance avec de grands artistes.

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Madiran (à la jonction des Hautes-Pyrénées et des Pyrénées-Atlantiques) tire sa réputation de ses vins très caractérisés. L’initiative privée d’une mécène offrit en 1995 la musique à ces coteaux ensoleillés. Puis en 2001, une association prenait le relais pour pérenniser l’organisation de concerts (en nombre limité) au mois de juillet, les couplant à une dégustation de Madiran et de Pacherenc du Vic-Bilh qui devient ainsi un moment de partage après le concert entre auditeurs et artistes autour d’un sympathique buffet. Bacchus tendait la main à Euterpe. Cette formule associant les oreilles aux papilles se pratique de plus en plus, dans les Pays de Loire, dans le Médoc, en Bourgogne, et permet à deux corporations aux intérêts dissociés de converger dans leur conquête du public.
Quelques personnes de bonne volonté entourent Danielle Mahé, présidente de l’association "Musique en Madiran", tandis que Marie-Laure Foray, chaleureuse et enthousiaste enseignante de piano au Conservatoire de Tarbes, les conseille musicalement, intéressant à la cause du festival les relations qu’elle s’est constituée dans le monde artistique
(site: www.musiqueenmadiran.fr/).

En entrant dans ce qui fut une église abbatiale bénédictine, le regard est attiré par la finesse du travail de sculpture individualisant chacun des chapiteaux. Grâce à Francis Marque, l’un des bénévoles de l’association, féru d’architecture médiévale, j’ai pu être guidée dans la découverte de ces beautés.

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Le vaisseau roman se prête bien à la pratique musicale : de bonnes proportions sous une charpente de bois guère trop haute, il ne condamne pas le son des instruments à se perdre en roulements incontrôlés. Encouragement notable, le curé de la paroisse, le Père Gidon, s’intéresse à la mise en valeur de ce patrimoine architectural... et à la musique (oh, divine rareté que bien des organistes envieraient à cette église... sans orgue !) : il prend lui-même la parole pour introduire les concerts auxquels il assiste assidûment.
Pour que cette fertile conjonction d’efforts et de bonnes volontés atteigne quelque retentissement, une touche internationale s’avère la bienvenue. Marie-Laure Foray a réussi à se gagner le soutien du pianiste italien Maurizio Baglini, qui nous dévoile dans l’interview ci-dessous les aspirations motivant son adhésion à un tel festival, même si les itinéraires qu’il doit emprunter pour se rendre dans cette campagne proche des Pyrénées, à partir de ses tournées italiennes, alpines et autres, ne lui facilitent guère la tâche ! Le cru 2011 marquait sa quatrième apparition au festival de Madiran, et le public, assuré de trouver l’excellence à chacun de ses programmes, se pressait pour l’entendre.

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Ce 27 juillet, Maurizio Baglini offrait aux Bigourdans le récital Liszt qu’il promène avec panache en cette année du bicentenaire : les 12 Études d’exécution transcendante et les Grandes Études d’après Paganini, le second recueil venant couper, par un climat plus léger, la densité du premier au centre du concert.
Sur un Steinway de qualité, le pianiste visait, non à l’exploit sportif pour montrer les muscles, mais à la mise en espace des subtilités évocatrices, à l’éclairage d’un arc-en-ciel de timbres réparti sur toute la palette du clavier. Il a tout particulièrement étudié quelles attaques de main gauche individualiseraient les touches de couleur célées dans les parties intérieures ou le dramatisme des graves. Quant à la main droite, il n’est que de la voir voler très au-dessus du clavier, avec une articulation déliée, pour comprendre comment il obtient les miroitements, les poudroiements aériens dont Liszt aimait faire scintiller ses aigus.
Vision s’érigeait en préfiguration – visionnaire en effet – de tout un monde musical futur, Chasse sauvage ou l’Étude (sans titre) en fa mineur nous entraînaient dans de vertigineux déferlements, les Feux follets dansaient sous l’impulsion de quelque farfadet tandis que les tourbillons de Chasse neige se paraient de frémissements impressionnistes. Mais la poésie (Ricordanza, Harmonies du soir, par exemple) demeurait toujours au premier plan.
Les atmosphères plus cristallines des Études d’après Paganini échappaient cependant au piège de la superficialité, par la grâce du phrasé (ah, l’élégance toute italienne de celle en mi bémol majeur !), d’une élocution parfaitement articulée.
Fort habilement, Maurizio Baglini sut jouer avec l’acoustique du lieu, composant avec la réverbération une résonance qui lui faisait alléger sa pédalisation : ainsi la richesse du son ne dégénérait jamais en brouillage, la précision du toucher et les fines interventions de pédale projetant la clarté de l’émission jusqu’au fond de la nef.
Très à l’aise en français pour établir un contact cordial avec le public, il présentait chaque groupe de pièces avec une aimable simplicité, ce qui détendait peut-être ses muscles semblant inaltérables... au point qu’à l’issue de ce marathon, il se lança en bis dans la 2ème Rhapsodie hongroise. Comme le Tour de France venait de s’achever peu de jours auparavant, il prit tout de même la précaution humoristique d’assurer au public : « Je ne suis pas dopé ! ». Un tel soupçon eût en effet pu s’immiscer tant la fin du programme était aussi vierge de fausses notes que le début ! Pour avoir entendu en d’autres lieux Maurizio Baglini jouer les Études d’exécution transcendante, je puis assurer les Madiranais qu’ils bénéficièrent d’un "Premier Grand Cru classé": en effet, les tournées que mène le pianiste encore jeune avec de telles œuvres ne dégénèrent pas en routine mais sont l’occasion d’approfondissement journalier, et ses interprétations de l’année dernière se voient aujourd’hui dépassées par le Baglini millésime 2011. Le climat chaleureux créé par les organisateurs et l’écoute fervente du public portant l’artiste, il se sentit appelé à des moments inspirés qui pourront faire dire aux Bigourdans qu’ils ont entendu les fameux Liszt de Baglini... encore mieux que les Parisiens !
Il va de soi que quelque année future verra notre musicien italien revenir une cinquième fois parmi les ceps de Madiran !

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Incontro con Maurizio Baglini

All’indomani di questa memorabile serata lisztiana, Maurizio Baglini ci faceva parte delle sue preoccupazioni con grande libertà ; dalle sue parole risaltano le problematiche a volte tortuose che un giovane artista di oggi deve superare per imporre il suo proprio discorso. Ma prima, ci parla della sua visione di Liszt :
« Penso che, dopo gli anni ’80, sia subentrata una confusione tra il rispetto della partitura e il rispetto della tradizione, che sono due cose diverse. C’è un contrasto fra il mondo accademico (e quello dei concorsi internazionali) e il mondo dell’arte. Liszt sapeva cosa era il virtuosismo per stupire il pubblico quando voleva ; ma lo stesso musicista ha anche scritto la Via Crucis, la Faust-Symphonie, inventato il poema sinfonico, concepito la prima sonata ciclica (la Sonata in si minore funziona su una sorta di leitmotiv wagneriano)... Quindi l’impatto della rivoluzione e del lessico musicali di Liszt è enorme. Purtroppo la tradizione, secondo me, ha portato a guardare soltanto il lato più superficiale. Chi declassa Liszt come semplice virtuoso ha due problemi : in primo luogo, forse non capisce la grandezza dell’uomo di cultura (Franz Liszt parlava sei lingue, conosceva quasi a memoria tutta la Divina Commedia ) ; e l’altro problema viene spesso dei pianisti - magari ex-pianisti – frustrati che non lo sanno suonare e trovano allora più facile attaccarlo ! Io rispetto sempre chi fa delle cose che non riesco a fare. Quest’anno, Liszt, in fondo, non sta avendo nell’occasione del bicentenario il successo che ha avuto Chopin l’anno scorso. Però, questa commemorazione di Chopin aveva distrutto quella di Schumann che è un genio : tale situazione è mortale dal punto di vista intellettuale ! Se ho proposto alla Decca il progetto Beethoven/ Liszt e gli Studi trascendentali per preparare il bicentenario Liszt, è anche perché oggi, per trovare uno spazio, un pianista della mia generazione deve, per forza, avere il coraggio di fare cose che altri magari non fanno. La Nona Sinfonia di Beethoven trascritta da Liszt per pianoforte solo è un’impresa per la memoria e per la resistenza tecnica ; il programma di ieri sera è un’impresa : molti suonano tutti gli Studi trascendentali, molti suonano gli Studi Paganini, ma non insieme. Quindi c’è una necessità concreta : io non sono professore (ho qualche allievo ma non un posto fisso in Conservatorio), non ho altre fonti di guadagno se non il concertismo. Perché mi piace, perché penso che non si può fare tutto allo stesso livello. Però, per vivere oggi del concertismo, devi avere delle idee ! E rendere Liszt dal punto di vista più profondo musicalmente è necessario anche perché un programma come quello di ieri risolto solo tecnicamente stanca facilmente il pubblico dopo quindici minuti. È difficile perché c’è tanto materiale – troppo, forse – da sopportare. Il pubblico, secondo me, è molto più intelligente, sensibile di quello che pensiamo, solo che il problema è fargli avere l’informazione. Se tu guardi una televisione come quella di Berlusconi, e solo quella, non hai comparazione. Ma se tu dài prodotti di qualità, la gente è disposta a scoprire la qualità. Questo è uno dei problemi della incomprensione su Liszt : molti snobs – colpa di una cattiva comunicazione – non hanno pensato che Liszt fosse molto pîù intellettuale, come persona, di uno – per esempio – come Claude Debussy : Debussy, che a me piace tantissimo, è il genio della rivoluzione armonica, ma Liszt afferrava la grandezza della cultura universale, capiva di letteratura, di scienza, di arte, di testi sacri, di teologia, ecc.. Chopin non aveva la stessa cultura. Quindi, per avere successo, per accontentare il pubblico con diciotto Studi di Liszt, bisogna risolverli musicalmente, bisogna provare a capire cosa piaceva, cosa affascinava il pubblico all’epoca di Liszt, e cosa il pubblico di oggi ha bisogno di ascoltare. La Campanella, uno Studio che hanno suonato tantissimi pianisti, è difficile : sicuramente è molto difficile fare le note giuste, però è più difficile trovare un colore particolare, altrimenti diventa la fotocopia di mille altre esecuzioni. Io penso che si debba essere originali, non per essere originali per forza, ma bisogna capire che l’interprete di oggi si deve fare riconoscere dopo tutti i grandi interpreti del passato (Schnabel, Kempff, Cortot, Benedetti Michelangeli, Rubinstein...). Per uscire dalla standardizzazione, l’interprete deve cercare una verità che non è assoluta, forse: però c’è un codice morale, un codice grammaticale della musica. »

La ricerca dei colori tiene un posto primordiale nel musicare e nelle soluzioni tecniche di Maurizio Baglini :
« Quando suoniamo questo strumento a percussione, dobbiamo renderlo non a percussione. C’è forse da meravigliarsi, ma non si può, fisicamente, realizzare un legato assoluto, il pianoforte non può cantare come una voce : appena tu hai schiacciato il tasto, fisicamente il suono finisce, prima o dopo, ma non è come il violino che può crescere, o l’organo con i suoi suoni tenuti. Quindi il pianista dev’essere un po’ mago, illusionista, deve capire come avere le astuzie del mago per equilibrare tutte le voci che ci sono : la mano sinistra è quella che ti porta spesso la pulsazione ritmica, la struttura dell’ armonia, e che ti aiuta per la memoria. È un po’ la guida spirituale ! Bisogna lavorare per equilibrarla, altrimenti se la fai troppo forte, diventa cacofonia.»
Nello Studio Vision, già appare il Liszt del futuro, il Liszt degli ultimi pezzi. È una pagina molto drammatica...
« ... e anche mistica perché Vision è proprio il caos primordiale. Liszt sfrutta il gesto (quello delle mani incrociate) in modo impressionante perché non perde mai di vista la funzione anche visiva del concerto : lui ha creato il recital da ascoltare ma anche da vedere. Per esempio, in Vision, ci sono tre novità assolute :
- la massa di suono (Liszt arriva a scrivere ffff),
- la stereofonia (nessuno aveva utilizzato così tanto materiale su un pianoforte),
- il fatto che un pezzo che presenta un basso ostinato abbastanza semplice (ci potrebbe essere la struttura armonica di una sorte di ciaccona o passacaglia), diventa un fattore avanguardista. Lui parte da un tema semplice ma il materiale è trattato in modo tale che ci pare sentire una musica scritta nel 1940 ! Poi c’è tutto il dolore, la disperazione di un grande punto interrogativo : il “Big Bang” non è stato ancora risolto.
L’inizio di Harmonies du soir è molto simile a quello di Reflets dans l’eau di Debussy (stessa tonalità, ecc.). I grandi genii sono quelli che sanno essere precursori.
A me piacciono alcuni compositori francesi del periodo intorno a Debussy e Ravel, ma non sono allo stesso livello. Saint-Saëns o Poulenc non valgono Debussy o Ravel nella storia della musica. È come dire che Clementi, autore di Sonate bellissime, non vale Mozart o Beethoven. Liszt forse paga oggi il prezzo di avere avuto troppo successo mentre era vivo. »
Un successo di virtuoso, di interprete...
« ... quindi il compositore passa un po’ al rango superficiale rispetto ad altri. È molto facile dire : “ però Schumann... !”. Vero, Schumann ha scritto delle cose stupende, ma... » Tutta la rivoluzione moderna, quella del Novecento è nata da Liszt : l’allontanarsi dalla tonalità, la ricerca sugli intervalli, la libertà delle forme... « ... Anche il fatto che il solista suona in recital a memoria, dal punto di vista scenico, era una rivoluzione. Per noi oggi è facile, ma pensiamo cosa è stato quando lui per la prima volta è arrivato sulla scena e ha creato questo “choc”, questo spettacolo ! »

Gli spettatori avranno notato una posizione ben particolare di Maurizio Baglini mentre suona il pianoforte : assai lontana dalla tastiera e con la sedia abbastanza bassa.
« A proposito di situazione visiva del recital pianistico: io ho cercato, negli anni, di trovare una mia posizione visualmente riconoscibile che fosse anche di aiuto alla qualità e alla quantità del mio suono. Non essendo io un uomo alto ( 1.70 ! ) devo sfruttare le mie braccia da nuotatore e le mie gambe da maratoneta: sedendomi così lontano ho la possibilità di non schiacciare mai il suono e di controllare il pianoforte come se fossi un motociclista ! e poi, con questa posizione, il pubblico mi identifica subito….. bisogna stare lontani dal pianoforte !!! »

Maurizio Baglini offre volentieri il proprio concorso ai compositori contemporanei del suo paese. Così ha dato “premières” di opere di Azio Corghi [compositore piemontese nato nel 1937].
« Corghi è stato durante tanti anni l’insegnante di composizione più importante al Conservatorio di Milano. Daniele Gatti ha fatto il corso di composizione con Azio Corghi, per esempio, solo per citare esempi illustri di musicisti non necessariamente divenuti compositori ma affermatisi nel ramo della musica. E io cercavo un compositore non dogmatico ma che conoscesse perfettamente il contrappunto, la grammatica musicale. Mi mancava, nella mia formazione, questo “lessico” della musica, un po’ di grammatica proprio più sana. Ho trovato Corghi grazie al mio primo insegnante, Piero Rattalino (un musicologo importante) che come direttore artistico conosceva Corghi e ne aveva anche prodotto alcuni suoi pezzi. Quando gli ho fatto ascoltare alcuni suoi pezzi da me suonati, Corghi ne è stato molto soddisfatto, poi abbiamo stabilito una collaborazione, ho trovato varie occasioni di suonarlo. La sinergia è culminata con il Concerto per pianoforte e orchestra e con la Suite per violoncello e pianoforte che ha scritto anche per la mia compagna Silvia Chiesa. Negli anni Settanta, Corghi faceva parte dell’avanguardia intellettuale di sinistra (come Nono, Sciarrino, ecc. ) ; oggi, dal punto di vista ideologico e politico, è rimasto lo stesso, cioè una persona di sinistra molto attiva contro il nostro governo attuale. Dal punto di vista musicale, ha però capito che il dogma del tempo forse allontanava il pubblico. Lui ha ripreso il suo linguaggio, un linguaggio che alcuni giudicano un po’ “retro” ; io personalmente trovo che sia un linguaggio di “arrangiatore” molto fine, molto sapiente poiché gli piace utilizzare temi di autori famosi del passato. Soprattutto, tiene conto della necessità di non spaventare il pubblico con la musica contemporanea. C’è tanta gente che dice : “C’è musica contemporanea ? Allora stasera non vado”. Corghi ha rinnegato un po’ la corrente di quei personaggi che facevano parte del suo primo ambiente, però ha forse creato più opportunità di lavoro per gli interpreti, e – quello che è ancora più interessante – ha creato delle opere che possono mettere insieme attori di cinema o di teatro e musicisti... cioè l’arte totale. Quindi, in questo senso, è una riscoperta di quello che era il principio – non direi wagneriano nello stile (!) ma nell’obiettivo – di un'arte totalizzante. Un’opera di Corghi permette a molte persone di lavorare insieme, di arricchirsi intellettualmente, di scoprire altre forme artistiche; tutti i suoi progetti non sono mai musica fine a se stessa. Per esempio, il Concerto per pianoforte e orchestra , intitolato Filigrane Bachiane, è basato sul Clavicembalo ben temperato di Bach. Quindi intuisce per forza una ricerca anche musicologica, sulla storia della musica. La Suite a noi dedicata per violoncello e pianoforte è sulle chansons della Rivoluzione francese (Ah! Ça ira, ça ira, La Carmagnole, Vive Henri IV, Charmante Gabrielle...), utilizza testi rinascimentali e classici ripresi durante la Rivoluzione Francese: questa è sicuramente una forma di arte più completa. Poi, può anche non piacere, non pretendo che piaccia a tutti. Però ogni dettaglio che lui vuole è scritto : non è la musica contemporanea in cui non si capisce neanche cosa sia scritto. Questo è importante per noi interpreti, per il pubblico. Vorrei riuscire a proporre il Concerto di Corghi (strumentato per un’orchestra d’archi) all’estero : è un pezzo molto complicato perché cita ovviamente i Preludi del Clavicembalo ben temperato, e sono ventiquattro minuti di musica….. musica moderna, quindi molto difficile per la memoria ! Ho fatto tanta fatica per impararlo (l’ho suonato con l’Orchestra nazionale della RAI a Torino diretta da Arturo Tamayo: è stato un grande evento con la diretta televisiva e radiofonica) che trovo assurdo di non averlo mai suonato in Francia o in Germania ! Questo già sarebbe interessante, anche per dare valore al fatto che la musica contemporanea non conta soltanto nella “première”. È musica che deve rimanere. Oppure facciamo il discorso che Beethoven è il più grande contemporaneo esistente, allora dopo Beethoven non può esistere nessuno [ridendo], però deve valere per tutti, suoniamo soltanto la musica romantica nei salotti, punto e basta ! Ho anche lavorato con Michele Da Longa, per esempio, un Italiano adesso accademico a Santa Cecilia e Direttore generale della RAI, quindi è una persona che vive la musica anche dall’altra parte, da parte dell’organizzatore. E lui scrive in una maniera molto più “sciarriniana”. Ho lavorato con Thierry Huillet, un pianista e compositore francese, che scrive in maniera abbastanza neo-romantica. Poi, con Sciarrino ho fatto alcuni suoi pezzi per pianoforte, però mai delle créations. E poi, ho fatto nel 2003 un reportage su tutti filmati di guerra dal titolo Gli orrori della Guerra: la Musica unisce, curato dal reporter RAI Claudio Speranza : avevamo sette compositori italiani importanti, tra i quali Marco Betta [compositore siciliano nato nel 1964], Francesco Antonioni [nato nel 1971], Fabrizio Festa [nato nel 1960], e per un concerto di un’ora, ho avuto sette compositori intorno a me, insomma ! È interessante perché tu associ la musica a dei video (video di guerra) che sono abbastanza crudeli e puoi capire il modo di lavorare di sette persone diverse che scrivono un pezzo per lo stesso scopo. Ogni giorno ricevo richieste di compositori ; vorrei avere il tempo di suonare e sperimentare tutto... Anche nel mio ultimo disco lisztiano, Rêves, la cadenza della seconda Rapsodia è fatta da un giovane compositore, Paolo Marzocchi [compositore pesarese nato nel 1971], e credo che sia importante dare spazio ai colleghi, anche compositori. Il problema è che poi non ci sono spazi nelle direzioni artistiche : appena tu proponi un pezzo di musica contemporanea... “ah, no !...”, è molto difficile. Questo è un problema reale.
Io, ascolto tutto : ascolto anche il rock, il pop, perché devo capire. Non bisogna denigrare, però non posso accettare quando ti dicono che un cantautore è un genio della musica tanto quanto Mozart ! No ! Poco tempo fa, ho visto un bel film recente, Dialogue avec mon jardinier di Jean Becker con Daniel Auteuil, il cui indicativo è preso nel Concerto per clarinetto di Mozart, un pezzo incredibile : pensi che Mozart è morto nel 1791, e scriveva per il clarinetto, uno strumento nuovo ! Il tema del secondo movimento ha una carica emotiva e una perfezione assolute. Non si può mettere sullo stesso livello Star Academy o non so ché ! E se pensiamo che questa musica, di cui possiamo ancora beneficiare, l’uomo della strada non la riconosce….. beh ! ! Vuol dire che il sistema ha dei problemi di comunicazione ; dobbiamo fare qualcosa. Quello che contesto un po’ all’avanguardia dogmatica e accademica del nostro settore musicale è il concetto di dire : “Ma tu capisci di musica ? No ? Allora non venire al concerto”. Questo è sbagliato perché poi tratti da imbecille il pubblico, e il pubblico non viene più ! E oggi tutti piangono : “manca il pubblico ” !
Quando avevo registrato il programma “1920” per Frame, avevo scoperto compositori anche minori. Nel 1920, c’era la Francia, e poi il resto del mondo. Ho scoperto Charles Koechlin, per esempio, grazie a questo disco. Ha scritto un bellissimo quintetto per pianoforte e archi di 38 minuti, però non riesco a programmarlo. Ci sono delle figure importanti nella storia della musica che anche noi musicisti non conosciamo ! »

Per avere fatto l’animatrice nell’occasione di incontri tra diversi compositori e un pubblico impreparato, ho sperimentato l’utilità pedagogica di questi momenti poiché allora la musica prende il viso e il corpo di un essere umano davanti agli occhi di ascoltatori scoraggiati dall’astrazione.
« ... e poi vedono che non è estranea. Ascoltano la musica di oggi con più piacere. Questo è importante. Ieri sera, facendo la presentazione degli Studi di Liszt, non ho detto niente di particolare, però aiuta per lo meno a capire l’ordine dei pezzi. E quando hai diciotto studi, spesso se li suoni tutti, la gente non riesce neanche a capire i titoli : non sono tutti così esperti da capire cosa stai suonando. Almeno le dai una chiarezza.
La musicoterapia degli antichi Greci era opera di rapsodi : ne avevano capito l’effetto salutare. Oggi, si vive troppo spesso pensando al concerto come ad un dogma o a qualcosa di fisso. Questo può spiegare la crisi del pubblico... Ecco perché voglio venire in posti così, nella campagna. Vedi la riuscita di una serata come ieri : gli organizzatori sono bravi ; con pochi mezzi, la loro associazione riposa su cinque volontari e un direttore artistico: Marie-Laure Foray che fa la professoressa al Conservatorio di Tarbes. Però hanno un risultato che è decisamente più importante di quello che puoi avere con impresari grossi a Londra o altrove. Allora, qual è la verità : sono più bravi i pochi Marie-Laure nel mondo o il prototipo di impresario della Salle Gaveau, ad esempio ? Quelli di Madiran sono forse più coraggiosi. Quello che hanno fatto loro ieri sera per me è impressionante, insomma. Arrivare qui, in un posto così, e avere quasi tre cento persone in una chiesa... impressionante ! Questo è un concetto che secondo me va a difesa del festival. Perché ho portato il mio festival in Toscana lontano da tutto ? Per portare la musica dove non esisteva ….Come un piccolo Bayreuth ! La gente arriva alle sei e mezzo a Collemassari come ai piedi del Sacro Graal... È così importante diffondere spettacolo, cultura, divertimento dove non esistono. Prendiamo l’esempio di Parigi : a Parigi c’è tutto, ogni giorno ci sono venti cose, le più belle del mondo. Quando, ad esempio, si mette in cartellone Martha Argerich, la gente sa chi è Martha, il successo è già fatto prima ; però quando il pubblico esce dal concerto, spesso non ricorda cosa Martha ha suonato ! Non è proprio la reazione di ciò che, a mio avviso, dovrebbe essere la vera diffusione culturale. Spero che questo momento di crisi economica possa essere un nodo cruciale per invertire la tendenza. In questo senso, oggi l’artista deve essere anche un grande imprenditore... non alla Berlusconi, per carità, ma avere idee e capire l’esigenza di trasformarsi in creatore di progetti. Purtroppo oggi, tu devi fare in modo che la gente abbia poi la curiosità verso di te e questo lo fai col repertorio, con le scelte di strategia di mercato. Non serve più a nessuno il pianista sublime che suona in modo sublime…. e basta ! Penso al violoncellista italiano Mario Brunello che ha portato la musica nelle Dolomiti, in montagna. Fare qualcosa di diverso non vuole dire suonare a piedi nudi sul palco, o con una mise sexy, o con gli occhiali da sole in una sala scura, ma fare qualcosa di veramente utile. È anche un obbligo perché il concerto tradizionale come lo vedevamo noi trenta o vent’anni fa sta morendo. Ho fatto i Concerti di Chopin in versione cameristica con un’attrice di cinema, Sonia Bergamasco (molto famosa in Italia), che aveva chiesto a Maria Grazia Calandrone, una poetessa italiana, di comporre dei testi che sarebbero stati recitati fra i vari movimenti : è stato uno spettacolo bellissimo, ben diverso della solita commistione George Sand-Chopin, e tutti gli ascoltatori sono rimasti molto contenti. E’ stata una serata sofisticata, però la gente ha capito meglio. Il pianista Pascal Amoyel fa progetti molto particolari, anche con sua moglie, la violoncellista Emmanuelle Bertrand. Però abbiamo bisogno di voi giornalisti per farlo sapere. Sai chi vende di più a New York ? È il pianista Richard Goode, una persona sconosciuta a Parigi ! Cito questo per dare un esempio del potere di mediatizzazione locale. Questo per me è frustrante : la gente parla di conosciuto/non conosciuto, popolare/non popolare, ma è colpa dei mezzi di comunicazione che parlano del concerto solo quando c’è il nome sul cartellone. Io proporrei addirittura di fare delle stagioni con i programmi senza dire chi sono gli interpreti, vorrei vedere se tu vai ad ascoltare Beethoven, o vai ascoltare X o Y ? Non bisogna dimenticare che anche quando suona un genio come Maurizio Pollini, c’è un genio un po’ più importante – diciamo Beethoven – che ha scritto delle cose prima ! Allora, si va ascoltare Beethoven, o si va ascoltare un grande nome ? A proposito di genialità, parliamo di Bayreuth : è bellissimo vedere uno spettacolo e non vedere l’orchestra né il direttore, perché tu comunque dovresti apprezzare quello che c’è, vale a dire l’arte totale senza la distrazione... Allora, se il direttore è famoso, vado, se non, non vado ? No ! Vai perché Parsifal è una creazione geniale, vai per ascoltare Parsifal, non tale o tale nome. Purtroppo è la stessa cosa con il cinema : la gente non guarda la sceneggiatura o il soggetto, guarda chi è l’attore. Questo lo dico anche contro il mio interesse, perché io faccio l’interprete, quindi dovrei difendere la figura dell’interprete ! Si può riproporre se si rimette in discussione l’importanza della musica, del progetto ; si può ancora diffonderla diversamente. Liszt era molto più décontracté, informale di quanto noi lo siamo oggi nei concerti. Lui metteva la parafrasi su Rigoletto, poi subito dopo magari la Bénédiction de Dieu dans la solitude. Quindi forniva , così facendo, un contrasto enorme, ma conosceva perfettamente, comunque, la profondità dei soggetti di cui trattare. Rigoletto non è soltanto famoso per “La Donna è mobile”, è un’opera dove emerge l’orrore alla fine: l’ultima scena è glaciale! Dobbiamo riportare in causa questi contenuti. Lo stesso vale per ciò che si vede accadere nel mondo: oggi vediamo delle cose orribili alla televisione e continuiamo tutti comunque a mangiare con il telegiornale che ci scorre davanti; leggiamo i giornali come capita... è cambiato qualcosa nello spirito critico della gente, ma non credo che tutto possa continuare su questa lunghezza d’onda. E credo che, in un modo o un altro, la cultura può portare anche un benessere economico ; in fondo il sistema sviluppato in Venezuela con Claudio Abbado ha creato posti e lavoro * : è una lezione che potremmo seguire anche noi in Europa ! »


* «El sistema», rete venezuelana di scuole di musica e di orchestre che offre a bambini e adolescenti economicamente indigenti la possibilità di acquisire una solida formazione musicale e, tramite questa, nuove prospettive. Claudio Abbado si reca regolarmente in Venezuela per lavorare con la Sinfónica de la Juventud, l'orchestra nazionale di giovani, che raggruppa i migliori del «Sistema».

(Conversazione con Sylviane Falcinelli a Madiran, 28 luglio 2011)

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Traduction en français de l’entretien avec Maurizio Baglini

Au lendemain de cette mémorable soirée lisztienne, Maurizio Baglini nous faisait partager ses préoccupations avec une grande liberté de parole. De ses propos ressortent les problématiques parfois tortueuses qu’un jeune artiste doit vaincre aujourd’hui pour imposer ses idées. Mais, en premier lieu, il nous parle de sa vision de Liszt:
« Je pense qu’à la suite des années 80 a surgi une confusion entre le respect de la partition et le respect de la tradition, qui sont deux choses bien différentes. Il y a un contraste entre le monde des institutions pédagogiques, des concours internationaux, et celui de l’art. Liszt savait fort bien cultiver la virtuosité pour ébahir le public quand il en avait envie; mais c’est le même musicien qui a écrit le Via Crucis, la Faust-Symphonie, inventé le poème symphonique, conçu la première sonate cyclique (la Sonate en si mineur est bâtie sur une sorte de leitmotiv wagnerien)... Par conséquent, l’impact de la révolution et du lexique musical de Liszt est énorme. Malheureusement, la tradition, selon moi, a incliné à ne considérer que le côté le plus superficiel. Qui rabaisse Liszt au rang de simple virtuose a deux problèmes : en premier lieu, peut-être ne comprend-il pas la grandeur de l’homme de culture (Franz Liszt parlait six langues, connaissait quasiment par coeur la Divine Comédie); et l’autre problème vient souvent des pianistes – voire ex-pianistes – frustrés qui ne savent pas le jouer et trouvent alors plus facile de l’attaquer ! Pour ma part, je respecte toujours ceux qui font des choses que je ne réussis pas à faire. Au fond, en cette année de son bicentenaire, Liszt n’a pas eu le succès qu’avait eu Chopin l’année dernière. Mais la commémoration de Chopin avait écrasé celle de Schumann qui est un génie : une telle situation est dramatique du point de vue intellectuel ! Si j’ai proposé à la firme Decca le projet Beethoven/Liszt ainsi que les Études d’exécution transcendante pour préparer le bicentenaire Liszt, c’est aussi parce que, aujourd’hui, pour trouver un espace, un pianiste de ma génération doit avoir le courage de faire des choses que d’autres ne feraient peut-être pas. La IXème Symphonie de Beethoven transcrite par Liszt pour piano seul est un défi pour la mémoire et pour l’endurance technique ; le programme d’hier soir est aussi un défi : beaucoup jouent les Études d’exécution transcendante, beaucoup jouent les Études Paganini, mais pas dans le même programme. Il y a aussi une nécessité concrète : je ne suis pas professeur (j’ai quelques élèves mais pas de poste fixe dans un Conservatoire), je n’ai pas d’autres sources de revenus que mes concerts. Parce que cela me plaît, parce que je pense que l’on ne peut pas tout faire au même niveau d’exigence. Cependant, pour vivre aujourd’hui de la carrière de concertiste, on doit avoir des idées ! Et restituer Liszt selon l’angle le plus profond musicalement est une nécessité, même pour donner vie à un programme comme celui d’hier, car si on l’assure seulement d’un point de vue technique, il fatiguera le public au bout d’un quart d’heure. En effet, il contient beaucoup de matériel sonore – trop, peut-être –, ce qui le rend difficile à supporter. Mais le public, selon moi, est beaucoup plus intelligent et sensible qu’on ne le croit; le seul problème est de lui faire parvenir l’information. Si vous regardez une télévision comme celle de Berlusconi, et seulement celle-ci, vous n’avez pas d’élément de comparaison. Mais si vous proposez des produits de qualité, les gens sont disposés à découvrir cette qualité. C’est d’ailleurs l’un des problèmes de l’incompréhension rencontrée par Liszt : en raison d’une mauvaise communication, beaucoup de snobs n’ont jamais pensé que Liszt était, en tant qu’homme, beaucoup plus intellectuel que – par exemple – Claude Debussy : j’aime énormément Debussy, qui est un génie de la révolution harmonique, mais Liszt saisissait la grandeur de la culture universelle, il s’y entendait en littérature, en sciences, en arts plastiques, en textes sacrés, en théologie, etc.... Chopin n’avait pas la même culture. Donc, pour avoir du succès, pour satisfaire le public avec dix-huit Études de Liszt, il faut résoudre l’équation d’un point de vue musical, il faut essayer de comprendre ce qui fascinait le public à l’époque de Liszt, et ce que le public d’aujourd’hui a besoin d’écouter. La Campanella, une Étude que tant de pianistes ont joué, est difficile : certes, il est déjà difficile de faire les notes, mais il est encore plus difficile de trouver une couleur particulière, sinon cela deviendrait la photocopie de mille autres exécutions. Je pense que l’on doit être original, non pour être à toute force original, mais comprenez que l’interprète d’aujourd’hui doit trouver à se faire reconnaître après tous les grands artistes du passé (Schnabel, Kempff, Cortot, Benedetti Michelangeli, Rubinstein...). Pour sortir de la standardisation, l’interprète doit chercher une vérité qui n’est peut-être pas absolue, mais il y a tout de même un code moral et un code grammatical dans la musique.»

La recherche coloristique tient une place primordiale dans la musicalité de Maurizio Baglini et dans les solutions techniques qu’il trouve pour la mettre en oeuvre :
« Quand nous jouons de cet instrument à percussion, nous devons le rendre non percussif. C’est peut-être un sujet d’étonnement, mais on ne peut, d’un point de vue physique, réaliser un legato absolu; le piano ne peut pas chanter comme une voix : aussitôt la touche a-t-elle été enfoncée que, physiquement, le son s’achèvera, plus ou moins vite, mais il n’est pas comme celui du violon qui peut croître, ou de l’orgue avec ses longues tenues. Donc le pianiste doit être un peu magicien, ou illusionniste, il doit trouver des astuces de magicien pour équilibrer toutes les voix qu’il a entre les mains : la main gauche est celle qui apporte souvent la pulsation rythmique, la structure harmonique, et qui aide à mémoriser. C’est un peu le guide spirituel ! On doit travailler à l’équilibrer, car si on la laisse jouer trop fort, le résultat devient cacophonique.»

Dans l’Étude Vision apparaît déjà le Liszt du futur, celui des pièces ultimes. C’est une page très dramatique... « ... et aussi mystique car Vision représente véritablement le chaos primordial. Liszt exploite le geste (celui des croisements de mains) de manière impressionnante car il ne perd jamais de vue la fonction visuelle du concert : il a créé le récital à écouter mais aussi à regarder. Par exemple, dans Vision, on trouve trois nouveautés absolues :
- la masse sonore (Liszt va jusqu’au ffff),
- la stéréophonie (personne n’avait utilisé autant de matériel sur un piano),
- le fait qu’un morceau présentant une basse obstinée assez simple (il pourrait s’agir d’une structure harmonique de chaconne ou passacaille), devienne vecteur d’avant-garde. Il part d’un thème simple mais le matériel est traité de telle manière qu’il nous semble entendre une musique écrite en 1940 ! Et puis, on y trouve toute la douleur, le désespoir d’un grand point d’interrogation : le “Big Bang” n’a pas encore été résolu.
Le début d’Harmonies du soir ressemble beaucoup à celui de Reflets dans l’eau de Debussy (même tonalité, etc.). Les grands génies sont ceux qui savent être précurseurs.
J’aime beaucoup certains compositeurs de la période entourant Debussy et Ravel, mais tous ne sont pas au même niveau. Saint-Saëns ou Poulenc ne valent pas Debussy ou Ravel dans l’histoire de la musique. De même Clementi, auteur de très belles Sonates, ne vaut pas Mozart ou Beethoven. Liszt paie peut-être aujourd’hui le prix d’avoir eu trop de succès de son vivant. »
Un succès de virtuose, d’interprète...
« ... donc le compositeur passe à un rang un peu superficiel par rapport à d’autres. Il est très facile de dire : “Ah, Schumann...!” . Il est vrai que Schumann a écrit des oeuvres splendides, mais... »
Toute la révolution moderne, celle des langages du XXème siècle, est née de Liszt : l’éloignement par rapport à la tonalité, la recherche sur les intervalles, la liberté des formes...
« ... Et aussi le fait que le soliste joue de mémoire en récital : d’un point de vue scénique, c’était une révolution. Aujourd’hui, cela nous semble facile, mais pensez au choc que cela représenta quand lui, pour la première fois, monta sur scène et créa ce spectacle ! »

Les spectateurs auront remarqué la position bien particulière de Maurizio Baglini au clavier : il s’en tient fort éloigné et sur un siège assez bas.
« Concernant l’aspect spectaculaire du récital de piano, j’ai cherché, au fil des années, une position qui soit visuellement reconnaissable et qui m’aide quant à la qualité et au volume du son. N’étant pas grand (1,70 m. !), j’ai dû exploiter mes bras de nageur et mes jambes de marathonien : en m’asseyant aussi loin, j’ai la faculté de ne jamais écraser le son et de contrôler le piano comme si j’étais un motocycliste ! Et puis, avec cette position, le public m’identifie aussitôt... Il faut rester loin du piano !!! »

Maurizio Baglini offre volontiers son concours aux compositeurs contemporains de son pays. Il a ainsi donné les premières d’oeuvres d’Azio Corghi [compositeur piémontais né en 1937].
« Corghi a été durant longtemps le professeur de composition le plus important au Conservatoire de Milan. Daniele Gatti a fait sa classe, par exemple, pour ne citer qu’un exemple illustre de musicien n’étant pas spécialement devenu compositeur mais s’étant affirmé dans le domaine musical. Pour ma part, je cherchais un compositeur non dogmatique qui connaisse parfaitement le contrepoint et la grammaire musicale. Ce “lexique” de la musique me manquait pour donner à ma formation des assises grammaticales plus saines. J’ai trouvé Corghi grâce à mon premier professeur, Piero Rattalino (un musicologue important) qui, en tant que directeur artistique, connaissait Corghi et avait même produit quelques-unes de ses pièces. Quand je lui ai fait entendre des pages de lui jouées par moi, Corghi en a été très satisfait, et nous avons ensuite développé une collaboration, j’ai trouvé diverses occasions de le jouer. Le point culminant de cette synergie a été le Concerto pour piano et orchestre et la Suite pour violoncelle et piano qu’il a écrite aussi pour ma compagne Silvia Chiesa.
Dans les années 70, Corghi faisait partie de l’avant-garde intellectuelle de gauche (comme Nono, Sciarrino, etc.); aujourd’hui, du point de vue idéologique et politique, il est resté le même, c’est-à-dire une personnalité de gauche très active contre notre actuel gouvernement. Du point de vue musical, il a cependant compris que le dogme de son temps éloignait peut-être le public. Il a repris son indépendance de langage, un langage que certains jugent un peu “rétro”; personnellement, je trouve que c’est un langage très fin et très savant d’ “arrangeur”, puisqu’il aime utiliser des thèmes d’auteurs fameux du passé. Mais surtout, il tient compte de la nécessité de ne pas faire peur au public avec la musique contemporaine. Tant de gens disent : “Il y a de la musique contemporaine ce soir ? Alors je n’y vais pas”. Corghi a quelque peu renié le courant l’apparentant à ces personnages qui faisaient partie de son milieu initial, mais il a peut-être créé plus d’opportunités de travail pour les interprètes, et – ce qui est encore plus intéressant – il a créé des oeuvres qui permettent de réunir des musiciens et des acteurs de cinéma ou de théâtre... c’est-à-dire un art total. En ce sens, il a redécouvert ce qui était le principe – je ne dirais pas wagnerien par le style (!) mais par l’objectif – d’un art regroupant tout. Une oeuvre de Corghi permet à beaucoup de personnes de travailler ensemble, de s’enrichir intellectuellement, de découvrir d’autres formes artistiques; ses projets ne s’arrêtent jamais à la musique comme une fin en soi. Par exemple, le Concerto pour piano et orchestre, intitulé Filigrane Bachiane, est basé sur Le Clavier bien tempéré de Bach. Il induit par conséquent une recherche sur l’histoire de la musique. La Suite pour violoncelle et piano qu’il nous a dédiée est construite sur les chansons de la Révolution française (Ah! Ça ira, ça ira, La Carmagnole, Vive Henri IV, Charmante Gabrielle...), elle utilise des textes de la Renaissance et du XVIIIème siècle repris durant la Révolution française: c’est certainement une forme d’art plus complète. Cela peut ne pas plaire, je ne prétends pas que cela plaise à tout le monde. Par ailleurs, chaque détail voulu par lui est écrit : il ne s’agit pas de cette musique contemporaine dans laquelle on ne comprend même pas ce qui est écrit. C’est important pour nous interprètes, et aussi pour le public. Je voudrais reproposer le Concerto de Corghi (qui n’est instrumenté que pour un orchestre à cordes) à l’étranger : c’est une oeuvre très compliquée car elle cite ouvertement les Préludes du Clavier bien tempéré, mais il s’agit de vingt-quatre minutes de musique moderne, donc très difficile pour la mémoire ! Cela m’a coûté tant de travail pour l’apprendre (je l’ai joué avec l’Orchestre national de la RAI à Turin, sous la direction d’Arturo Tamayo: ce fut un grand évènement retransmis en direct à la radio et à la télévision) que je trouve absurde de n’avoir jamais pu le donner en France ou en Allemagne ! Cela serait intéressant, ne serait-ce que pour valoriser le fait que la musique contemporaine ne compte pas seulement le soir de la “première”. C’est de la musique qui devrait rester. Ou alors, tenons-nous en à l’argument selon lequel Beethoven est le plus grand contemporain existant, nul ne peut venir après lui [il rit], mais alors ce discours doit valoir pour tous, et ne jouons plus la musique romantique que dans les salons, voilà tout !
J’ai aussi travaillé avec Michele Da Longa, par exemple, un Italien qui est maintenant professeur à l’Académie Santa Cecilia et Directeur général de la RAI, donc une personnalité vivant la musique de l’autre côté de la barrière, celui de l’organisateur. Lui écrit dans un style nettement plus “sciarrinien”. J’ai travaillé avec le pianiste et compositeur français Thierry Huillet, qui écrit de manière assez néo-romantique. Et puis j’ai joué quelques-unes des pièces pour piano de Sciarrino, mais jamais des “premières”.
En 2003, j’ai participé à un reportage sur des films de guerre intitulé Les horreurs de la guerre : la musique unit, conçu par le reporter de la RAI Claudio Speranza : nous avions sept compositeurs italiens importants, parmi lesquels Marco Betta [compositeur sicilien né en 1964], Francesco Antonioni [né en 1971], Fabrizio Festa [né en 1960], et, pour un concert d’une heure, en somme, j’avais sept compositeurs autour de moi ! C’est une expérience intéressante car en associant la musique à des vidéos de guerre qui sont assez cruelles, on peut comprendre la manière de travailler de sept personnes différentes qui écrivent chacune un morceau pour le même objectif.
Je reçois chaque jour des requêtes de compositeurs ; je voudrais avoir le temps de tout jouer, de tout expérimenter... Jusque dans mon dernier disque consacré à Liszt, Rêves, la cadenza de la Rhapsodie hongroise n°2 est écrite par un jeune compositeur, Paolo Marzocchi [compositeur de Pesaro né en 1971], et je crois qu’il est important de laisser un espace aux collègues, y compris aux compositeurs. Le problème est que cet espace n’est pas pris en compte au sein des directions artistiques : à peine proposez-vous une pièce de musique contemporaine que l’on vous répond “Ah non !, c’est trop difficile”. Le problème est réel.
Pour ma part, j’écoute de tout : même le rock, la musique pop, car je dois comprendre. Je ne veux pas dénigrer, mais je ne puis accepter qu’on me dise qu’un chanteur de variétés est un génie de la musique au même titre que Mozart ! Non ! Il y a peu, j’ai vu un beau film récent, Dialogue avec mon jardinier de Jean Becker avec Daniel Auteuil, dont l’indicatif était emprunté au Concerto pour clarinette de Mozart, une oeuvre incroyable : pensez que Mozart est mort en 1791 et qu’il écrivait pour la clarinette, un instrument nouveau ! Le thème du second mouvement est d’une charge émotionnelle et d’une perfection absolues. On ne peut mettre sur le même plan Star Academy ou je ne sais quoi ! Et songez que cette musique, dont nous pouvons encore bénéficier aujourd’hui, l’homme de la rue ne la reconnaît pas !!... Cela veut dire que notre système a des problèmes dans la communication, nous devons faire quelque chose ! L’attitude que je conteste chez l’avant-garde dogmatique et académique consiste à dire : “Comprenez-vous quelque chose à la musique ? Non ? Alors ne venez pas au concert”. C’est une erreur puisque, ainsi, on traite les auditeurs en imbéciles, et ils ne viennent plus ! Après quoi, tous se lamentent : “on manque de public”!
Quand j’avais enregistré le programme “1920” pour le label Frame, j’avais découvert des compositeurs réputés mineurs. En 1920, il y avait la France, et puis le reste du monde. J’ai ainsi découvert Charles Koechlin, par exemple, grâce à ce disque. Il a écrit un très beau quintette pour piano et cordes de 38 minutes, mais je ne réussis pas à le programmer. Il y a des figures importantes de l’histoire de la musique que même nous, musiciens, ne connaissons pas ! »

Lors de mes expériences consistant à animer des rencontres entre des compositeurs et un public non préparé, j’ai pu vérifier l’utilité pédagogique de ces moments car la musique prend alors un visage et un corps humains, elle s’incarne sous les yeux d’auditeurs qui seraient découragés par l’abstraction pure.
« ... et puis ils voient ainsi qu’elle n’est pas un objet étranger. Il écoutent la musique d’aujourd’hui avec un plaisir accru, ce qui est important. Hier soir, en présentant les Études de Liszt, je n’ai rien dit d’extraordinaire, mais cela aidait tout au moins à comprendre l’ordre des pièces. Quand ils entendent dix-huit Études d’affilée, les gens ne réussissent plus à suivre les titres : ils ne sont pas tous experts au point de comprendre quelle pièce l’artiste est en train de jouer. Au moins, on leur donne des repères clairs. La musicothérapie des Grecs de l’Antiquité était l’oeuvre de rhapsodes : ils en avaient compris l’effet salutaire. Aujourd’hui, on vit trop souvent en pensant le concert comme un dogme ou quelque chose de fixé. Ceci peut expliquer la crise du public... Voilà pourquoi j’aime venir dans des endroits comme ici, au coeur de la campagne. Voyez la réussite d’une soirée comme hier : les organisateurs sont remarquables ; avec peu de moyens, leur association repose sur cinq bénévoles et une directrice artistique, Marie-Laure Foray, qui est professeur de piano au Conservatoire de Tarbes. Mais ils obtiennent un résultat qui est décidément plus important que celui que pourraient produire de grands entrepreneurs de spectacles à Londres ou ailleurs. Alors, où est la vérité : les plus remarquables sont-ils les quelques Marie-Laure existant au monde, ou le prototype d’un directeur comme celui de la Salle Gaveau, par exemple ? L’équipe de Madiran est peut-être plus courageuse. Ce qu’ils ont fait pour moi hier soir est impressionnant. Arriver dans un tel endroit, à l’écart des grandes villes, et avoir presque trois cent personnes dans une église... c’est impressionnant ! Un tel concept, selon moi, joue en faveur de l’idée de festival. Pourquoi ai-je porté mon festival en Toscane loin de tout [Amiata Piano Festival, à Collemassari, dans la province de Grosseto] ? Pour porter la musique là où elle n’existait pas... Comme un petit Bayreuth ! Les gens arrivent à six heures et demie à Collemassari comme au pied du Sacré Graal... C’est important de diffuser ainsi le spectacle, la culture, le divertissement, là où ils n’existent pas. Prenons le cas de Paris : à Paris, vous avez tout, chaque jour vingt manifestations, toutes plus belles les unes que les autres. Quand, par exemple, Martha Argerich est à l’affiche, tout le monde sait qui est Martha, le succès est fait d’avance; mais quand le public sort du concert, souvent il ne se rappelle même pas ce que Martha a joué ! Ce n’est pas une saine réaction, eu égard à ce que devrait être, selon moi, la véritable diffusion culturelle. J’espère que ce moment de crise économique puisse être un tournant crucial pour inverser la tendance. En ce sens, l’artiste d’aujourd’hui doit être aussi un grand entrepreneur... pas à la Berlusconi, par pitié, mais pour avancer des idées et comprendre l’exigence de se transformer en créateur de projets.
Malheureusement aujourd’hui, nous devons faire en sorte que les gens aient quelque curiosité à notre égard, et on y parvient par le répertoire, par les choix de stratégies de marché. Le temps est révolu du pianiste sublime qui jouait de manière sublime... sans plus ! Je pense au violoncelliste italien Mario Brunello qui a porté la musique dans les montagnes des Dolomites. Faire quelque chose de différent ne signifie pas jouer pieds nus sur scène, ou avec une mise sexy, ou en portant des lunettes noires dans une salle obscure, mais faire quelque chose de vraiment utile. C’est même une obligation car le concert traditionnel, tel que nous l’avons connu il y a vingt ou trente ans, se meurt. J’ai joué les Concertos de Chopin dans la version chambriste avec une actrice de cinéma, Sonia Bergamasco (très célèbre en Italie), qui avait demandé à une poétesse italienne, Maria Grazia Calandrone, de composer des textes destinés à être dits entre les divers mouvements: ce fut un magnifique spectacle, bien différent du traditionnel couplage George Sand-Chopin, et tous les auditeurs sortirent séduits par cette soirée, certes assez sophistiquée, mais qui les aida à mieux comprendre. Le pianiste Pascal Amoyel monte aussi des projets bien particuliers, certains en compagnie de sa femme violoncelliste, Emmanuelle Bertrand. Mais nous avons besoin de vous, journalistes, pour les faire connaître. Savez-vous qui est le plus “vendeur” à New York ? Le pianiste Richard Goode, quasiment inconnu à Paris ! Je cite cet exemple pour montrer le pouvoir de la médiatisation locale. C’est une situation frustrante pour moi : les gens parlent en termes de connu/pas connu, de populaire/non populaire, mais c’est la faute des médias qui ne parlent d’un concert que s’il y a un nom à l’affiche. Je proposerais volontiers de faire des saisons annonçant les programmes sans dire qui sont les interprètes, je voudrais voir si vous allez écouter Beethoven, ou si vous y allez pour X ou Y ? N’oublions pas que, même lorsque joue un génie comme Maurizio Pollini, il y a en amont un génie un peu plus important – disons Beethoven – qui a écrit certaines choses ! Alors, va-t-on écouter Beethoven, ou va-t-on écouter un grand nom ? À propos de génie, parlons de Bayreuth : c’est très beau d’assister à un spectacle sans voir l’orchestre ni le chef, car il nous reste à apprécier l’essentiel, c’est-à-dire l’art total sans la distraction... Alors dirons-nous : “si le chef est célèbre, j’y vais, sinon, je n’y vais pas” ? Non ! Nous y allons parce que Parsifal est une création géniale, nous allons écouter Parsifal, non Untel ou Untel. Malheureusement, le même phénomène existe au cinéma : les gens ne regardent pas le scénario ou le sujet, ils regardent qui est l’acteur principal. Parlant ainsi, je vais contre mon propre intérêt puisque je fais profession d’interprète, donc je devrais défendre le rôle de l’interprète !
On peut rouvrir la discussion sur l’importance du projet musical, encore faut-il le diffuser différemment. Liszt était beaucoup plus décontracté, informel que nous ne le sommes aujourd’hui vis-à-vis du concert. Il pouvait mettre au programme sa paraphrase sur Rigoletto, puis aussitôt après la Bénédiction de Dieu dans la solitude, éventuellement. Un contraste, énorme, certes, mais il connaissait parfaitement la profondeur des sujets dont il s’emparait.
Rigoletto n’est pas seulement célèbre pour “La Donna è mobile”, c’est un opéra où l’horreur émerge à la fin : la dernière scène glace le sang dans les veines !
Nous devons remettre en question ces contenus. La même remarque vaut pour ce qu’il advient dans le monde : aujourd’hui nous voyons des choses horribles à la télévision et nous continuons pourtant à manger avec les nouvelles qui défilent sous nos yeux; nous lisons les journaux comme ils nous arrivent... Quelque chose a changé dans l’esprit critique des gens, mais je ne crois pas que l’on puisse continuer sur cette longueur d’ondes. Par ailleurs, je crois que, d’une manière ou d’une autre, la culture peut apporter un bien-être économique; au fond, le système développé au Venezuela avec Claudio Abbado a créé des postes et du travail * : voilà une leçon qui pourrait nous inspirer, nous Européens ! »



* «El sistema», réseau vénézuélien d’écoles de musique et d’orchestres qui offre à des enfants et à des adolescents de condition pauvre la possibilité d’acquérir une formation musicale solide, en leur ouvrant des perspectives. Claudio Abbado se rend régulièrement au Venezuela pour travailler avec le Sinfónica de la Juventud, l’orchestre national des jeunes, qui regroupe les meilleurs du «Sistema».

(Conversation avec Sylviane Falcinelli à Madiran, 28 juillet 2011)





Discographie commentée de Maurizio Baglini

La discographie du pianiste italien (né à Pise le 4 mars 1975), extrêmement variée et séduisante, manifeste le souci d’apporter sa finesse de coloriste à des répertoires audacieux, autant qu’à des pages très publiques. Pourtant, elle souffre d’un déficit de diffusion internationale. Nous espérons, par la chronique ci-dessous, aider les mélomanes à s’orienter vers des références peut-être méconnues hors de leur sphère locale.
Pour chaque disque, on a indiqué les dates précises des sessions d’enregistrement : ainsi constate-t-on que Maurizio Baglini, qui est capable de jouer en un même concert 18 Études de Liszt suivies de la 2ème Rhapsodie Hongroise sans faillir, n’a guère besoin de s’éterniser en studio pour graver ces “instantanés” de ses interprétations !
On sentira cependant poindre, au détour de mes commentaires, une divergence relative à la facture de piano, dont il convient de s’expliquer ici.
Maurizio Baglini ayant lié son sort au facteur de pianos Fazioli, ce qui est, à mon sens, s’imposer une restriction dommageable, ses disques sont le plus souvent réalisés au Fazioli Concert Hall de Salice (province de Pordenone), et il travaille depuis 2005 avec le même ingénieur du son, Raffaele Cacciola. 2011 le voit même propulsé à la direction artistique des manifestations dans le « showroom » de Fazioli a Milan.
Or, je ne fais guère mystère de mon engagement en faveur d’une esthétique chaude et profonde de type germano-viennoise, dont l’idéal s’épanouit autrefois chez Bösendorfer (avec son fameux Imperial) et, depuis le déclin de cette marque, resurgit chez Steingraeber (le E-272), facteur bavarois dont l’ancêtre collabora d’ailleurs avec Liszt ; les dernières recherches de Yamaha ont d’autre part retenu mon attention (je renvoie le lecteur à mes articles avec et sur Nicolas Stavy, parus dans “L’Éducation musicale”, où ces positions sont défendues, arguments à l’appui). Corrélat logique, je n’ai jamais caché mon absence totale de penchant pour la facture et la sonorité des pianos Fazioli (émission plus crue, zone du médium-aigu inégale par rapport aux registres l’avoisinant, manque de longueur de résonance). C’est pourquoi il adviendra que mes remarques soulignent ce qui me semble, dans le choix instrumental, aller en porte-à-faux des répertoires, voire des intentions d’interprétation (vérifiées en concert sur des pianos d’autres marques).


Chronologie des parutions discographiques de Maurizio Baglini

[Je remercie Maurizio Baglini de son aide pratique. En raison des difficultés pour réunir certains éléments de cette discographie, les quelques commentaires manquants viendront s’insérer dans les mois à venir.]

Chopin : Études op. 10 et op. 25, Trois nouvelles Études (enregistrées du 16 au 18 février 1998 sur piano Steinway). Phoenix classics, distribué avec la revue Suonare news SNR 046.
L’artiste a plus tard réenregistré les mêmes œuvres sur instruments d’époque - Lange 1835 et Pleyel 1849 -, Editions Phoenix Classics (2000).

Fandango ! : Soler (Fandango en ré mineur), Chopin (Boléro op.19), Saint-Saëns (Les Cloches de Las Palmas), Mateo Albéniz (Sonate en Ré Majeur op.13), Isaac Albéniz (Asturias, Granada, Malagueña), Busoni (Kammer-Fantasie über Carmen), Granados (Danza espagnola n°5, Andaluza, El Pelele), Gottschalk (Marchega, Studio concertistico, Capriccio spagnolo, Jota aragonese). Distribué avec la revue Suonare news (2004).

"1920" : Darius Milhaud (Saudades do Brazil), Chostakovitch (5 Préludes), Josef Suk (O přátelství), Aaron Copland (Le chat et la souris), Vítĕslav Novák (Mládí), Alfredo Casella (11 pezzi infantili), Heitor Villa Lobos (A lenda do caboclo), Dukas/Roussel/Malipiero/De Falla/Goossens/Bartók/Schmitt/Stravinsky (Tombeau de Claude Debussy), Maurice Ravel (La Valse), Charles Koechlin (Pastorales)
(enregistrées en décembre 2002). Frame CD FRO348-2 (2 CDs). Notices de Paolo Paolini et Riccardo Risaliti.

Dans l’excellente collection (hélas éphémère !) des « yearbooks of the 20th century piano » du label italien Frame où étaient parus de riches volumes « 1900 », « 1950 » et « 1980 », tous confiés à de jeunes espoirs du piano, l’année « 1920 » avait été attribuée à Maurizio Baglini.

Chopin : 1er Concerto pour piano. Avec le New Japan Philharmonic, dir. Seikyo Kim.
Un DVD japonais de 2004 (Music Factory Productions), jamais distribué en Europe.

Gabriel Fauré : Quatuors pour piano et cordes op. 15 et op. 45 (enregistrés en concert le 7 mai 2005). Avec Gabriele Pieranunzi (violon), Francesco Fiore (alto), Shana Downes (violoncelle). Amadeus AM 195-2. À noter le très analytique “Guide d’écoute” rédigé par Cesare Fertonani.

Sergueï Rachmaninov : 2ème Suite op.17, Prélude en ut dièse mineur op.3 n°2, Rhapsodie Russe (1891), 1ère Suite "Fantaisie- Tableaux" op.5. Avec Thierry Huillet, piano. (2006) La Nuit transfigurée.

Chopin : Sonate pour violoncelle et piano ; Debussy : Sonate pour violoncelle et piano ; Azio Corghi : "d’après cinq chansons d’élite" (enregistrées en 2007). Avec Silvia Chiesa. Concerto (Musicmedia) CD 2035. Notices d’Azio Corghi et de Gian Paolo Minardi.
Les œuvres de Debussy et Corghi étaient apparues peu auparavant dans un programme plus homogène consacré au XXème siècle, avec la Kleine Suite op.23 de Busoni et la Sonate en ut majeur op.65 de Benjamin Britten (un CD musicainsieme, 2007). En effet, quel que soit le cantabile qu’y apporte Silvia Chiesa, la Sonate de Chopin demeure une partition faible, assez insipide même, du génial Polonais. À trop accuser les angles de la Sonate de Debussy, à brusquer les contrastes, les deux artistes donnent l’impression de demeurer étrangers à son idiome, et désarticulent le discours parfois déstabilisant du Debussy de la dernière période qui appellerait plutôt le génie unificateur appliqué par Pierre Boulez à sa légendaire interprétation de Jeux !
Le titre énigmatique (expliqué dans le livret) de la Suite écrite par Azio Corghi à l’intention du couple, recouvre des errances fantomatiques autour de lambeaux resurgis de l’époque de la Révolution française. Le point culminant de l’œuvre réside dans la déconstruction, allant de la désolation à la violence, pratiquée sur le célèbre Ah ! Ça ira, ça ira.
Quant au Concerto d’Azio Corghi, Filigrane Bachiane, dont nous parle Maurizio Baglini dans l’interview ci-dessus, il en existe une retransmission, évidemment de qualité parfaite puisque émanant de la RAI, qui ne demanderait qu’à être publiée au disque en l’état. L’œuvre, loin de pencher vers les facilités souvent grossières du procédé de "collage", noue avec une suprême élégance des interférences entre atmosphères, une écriture résolument contemporaine – mais toute en finesse – infiltrant les présupposés lancés par les citations de Bach, ou au contraire les interrompant d’un ton conflictuel. Maurizio Baglini et Arturo Tamayo en tissent les fils avec beaucoup de subtilité.

"Musica in Bocconi – 2007" : Liszt (Grandes études n° 4, 5, 3 d’après Paganini ; Années de Pèlerinage, 2° année, Italie), Geza Zichy (Valse d’Adèle).

Rolf Urs Ringger : 21 pièces pour piano, composées entre 1975 et 2005. (2008) Tudor 7153.
Un compositeur zürichois né le 6 avril 1935, élève de Theodor W. Adorno et de Hans Werner Henze.

Liszt : Transcription de la IXème Symphonie de Beethoven (enregistrée les 23 et 24 mai 2008). Decca 476 3300. Notice de Maurizio Baglini.
Une performance technique et coloristique pour restituer toute la texture du monument beethovenien. La clarté avec laquelle Maurizio Baglini définit toutes les voix et les répliques orchestrales laisse admiratif.

Saint-Saëns : Sonates n°1 et 2 pour violoncelle et piano + Chant saphique (enregistrés du 24 au 27 septembre 2008). Avec Silvia Chiesa. À noter le très analytique “Guide d’écoute” rédigé par Cesare Fertonani.
Publié en supplément de la revue italienne Amadeus n°223, ce disque mériterait de réapparaître dans le circuit de distribution “normal” et international. J’apprécie toute interprétation contribuant à briser les préjugés selon lesquels Saint-Saëns serait corseté dans le formalisme (alors que sa nature psychologique était tellement plus complexe, et se dévoile à travers sa musique, si on sait la lire !). Les œuvres pour violoncelle s’y prêtent particulièrement. On connaît la vision intense, par moments hallucinée, traversée d’éclairages surréalistes qu’Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel ont donnée des deux Sonates (Harmonia Mundi). Dans un esprit tout différent, le couple italien s’élance avec fougue dans cette musique mais sait aussi pirouetter, serpenter, se couler au gré de l’inventive juxtaposition de climats contrastés qui habille l’architecture, d’une rigoureuse perfection comme il se doit chez Saint-Saëns. L’articulation très fine de Maurizio Baglini apporte des subtilités tantôt cristallines, tantôt diaphanes, aux effets de lointain, aux échappées poétiques, ou encore au galop emportant le finale de la Sonate n°1. Les moments d’introspection se parent d’une infinie délicatesse (Romanza de la Sonate n°2), cultivée d’un même cœur par les deux partenaires. La prise de son un peu sèche les dessert malheureusement, d’autant que la captation du piano situe l’instrument trop en retrait, et que l’archet de Silvia Chiesa, pour sensible qu’il soit, ne donnait pas encore l’ampleur sonore qui éclatera dans leur dernier disque Brahms-Schubert.



Ferruccio Busoni : Transcriptions pour piano d’œuvres de J.S. Bach. Tudor (www.tudor.ch).
Après un Vol. 1 enregistré au cours de son Festival Amiata en 2005 et paru en 2006 (Toccata n°1 BWV 564 et Toccata n°2 BWV 565, Choralvorspiele für Orgel BWV 615, BWV 639, BWV 645, BWV 659, Chaconne BWV 1004 ; CD 7139), Maurizio Baglini poursuit chez le label suisse avec un deuxième disque enregistré à Collemassari (lieu dudit Festival Amiata) du 15 au 17 décembre 2008, mais sorti seulement en 2011. Au programme : Chromatische Fantasie und Fuge BWV 903, Praeludium und Fuge für Orgel BWV 552, Choralvorspiele für Orgel BWV 667, BWV 734a, BWV 617, BWV 637, BWV 705, BWV 665, Praeludium und Fuge für Orgel BWV 532 (Notice de Ana von Bülow ; CD 7156).
Du défi lisztien recréant l’orchestre beethovenien à celui de Busoni s’emparant des œuvres d’orgue de Bach, il n’y avait qu’un pas. Maurizio Baglini joue la carte du grand pianisme post-romantique (je préfère l’expression italienne : tardoromantico, plus judicieuse tant esthétiquement que chronologiquement), nous replongeant dans l’époque et la culture de Busoni. Malheureusement, rien ne saurait être plus antinomique du son de l’orgue que celui d’un Fazioli ! N’oublions pas que c’est afin de mieux restituer ses transcriptions de l’orgue de Bach que Busoni demanda au facteur viennois Bösendorfer de lui créer le modèle connu sous le nom d’ « Imperial », avec ses graves supplémentaires destinés à donner une profondeur équivalente aux 32 pieds, lesquelles notes graves, par l’extension de la table d’harmonie, engendrent une formidable résonance qui colore l’ensemble du registre des basses. Cet « Imperial » nous manque ici cruellement, et les graves du Fazioli font piètre figure par rapport à ce que Busoni recherchait. Heureusement, le toucher raffiné de Maurizio Baglini parvient à rendre délicat, dans les nuances P et PP des aigus qui, sous d’autres doigts ou à un certain seuil de puissance, pourraient claquer aussi sèchement que des mixtures Gonzalez ! L’art du phrasé et de la pédalisation, très pianistique, s’écoute comme une recréation en soi (le Choral Herr Gott, nun schleuss den Himmel auf, notamment).

Liszt : 12 Études d’exécution transcendante (1852) + versions de 1837 des Études n° 4 et 5 (enregistrées du 19 au 22 janvier 2010). Decca 476 3882. Notice de Maurizio Baglini.
L’un des chevaux de bataille de Maurizio Baglini. Mais que le disque ne dispense aucun auditeur de courir entendre les concerts où l’artiste programme ce mythique recueil ! D’une part, l’écoute de ses récitals apporte la preuve qu’il n’a guère besoin des montages du studio pour vaincre “sans peur et sans reproche” ces sommets de la virtuosité. D’autre part, à mûrir son interprétation au fil des tournées, Maurizio Baglini (qui n’a que trente-six ans en cet été 2011) a déjà atteint, dix-huit mois après son disque, de nouvelles richesses expressives, des recherches inédites de couleur, et on lui prédit que, dans un futur indéterminé, il se sentira poussé à réenregistrer ces pièces car la gravure de 2010 ne le représentera plus totalement. Que ces récitals aient résonné sur des pianos Yamaha ou Steinway, plus adaptés à l’espace sonore lisztien que le Fazioli, explique pour une part (mais pour une part seulement, car l’évolution du jeune pianiste est en bondissant développement, et c’est gage d’un prestigieux avenir !) qu’ils m’aient davantage comblée que le disque. Ce qui séduit dans son interprétation, c’est que l’argument musical occupe toujours le premier plan, loin devant la performance sportive ; pour vous en convaincre, écoutez la fin de Ricordanza, absolument magique, ou les effets de lointain nébuleux dans Harmonies du soir. Le complément de programme, fort instructif, nous donne à entendre deux des Études (celles qui deviendront Mazeppa et Feux Follets) dans l’écriture démentielle mais finalement trop lourde que Liszt avait jetée sur le papier en deuxième stade du long cheminement qui mena des Exercices de 1824-1826 (le virtuose prodige les entreprit dès l’âge de 13 ans !) à la rédaction définitive des 12 Études d’exécution transcendante (1851) parue chez Breitkopf & Härtel, en passant par les 12 Grandes Études (1837) publiées en 1839 chez Haslinger à Vienne, et réputées injouables. En s’attaquant à deux de ces dernières, Maurizio Baglini nous prouve qu’il serait armé pour affronter l’ensemble de ce cycle intermédiaire, d’un évident intérêt documentaire.

Brahms : Sonates pour violoncelle et piano op. 38 et 99 ; Schubert : Sonate pour arpeggione (enregistrées du 16 au 18 novembre 2010) . Avec Silvia Chiesa. Decca 476 4422. Notice de Maurizio Baglini.
Les émotions éclatent avec une flamme expansive chez nos deux Italiens, et ils nous brûlent par la force expressive de leurs interprétations gravées en 3 jours. Silvia Chiesa expose d’un son ample et noble le thème initial du premier mouvement de l’op. 38 de Brahms, tandis que, avec pudeur, son partenaire se tient d’abord en retrait. Puis, prenant appui sur les ostinati rythmiques du troisième thème, tous deux, d’un même cœur, font s’élever une puissance dramatique angoissante, témoignage des profondes tensions intérieures qui tourmentaient Brahms. Le Tempo di minuetto – dénomination et rétrospection stylistique décalées – est traité avec des mains précautionneuses par le couple d’artistes, comme une réminiscence vue à travers le prisme d’une vision fantasmée par l’éloignement, particulièrement dans le trio très onirique (on pense à Giulietta degli spiriti de Federico Fellini). Le Finale fugué est lancé avec éclat par Maurizio Baglini ; de cette autorité montera une tension âpre et fière, culminant dans une coda torrentielle. Le premier mouvement de la seconde Sonate s’affirme avec puissance avant de s’enfoncer dans de sombres mystères, et les interprètes ne cesseront de jouer de ces conflits serpentant de l’autorité passionnée aux clairs-obscurs. L’Adagio affettuoso est un grand moment d’intensité dramatique, au cœur de cette interprétation : portant une attention empathique à la plainte qui s’exhale, les artistes saisissent la profondeur de l’expression mélancolique qui devient cri de détresse. La force opiniâtre domine l’Allegro passionato, après quoi un instant de grâce, de répit au début de l’Allegro molto semble étranger au monde de cette Sonate, mais les tranchantes affirmations des éléments suivants conduisent à une conclusion logique. On reste impressionné par l’implication puissamment vécue avec laquelle Silvia Chiesa et Maurizio Baglini se jettent dans ces monuments du répertoire pour violoncelle et piano, atteignant à la grandeur que la substance sonore de ceux-ci requiert. Je rapprocherais cette fois Silvia Chiesa d’Emmanuelle Bertrand en ce sens que ces sensibilités féminines savent déployer une ample sonorité mâle au violoncelle – ce qui, à mon sens, est la séduction même de cet instrument –. L’artiste italienne nous en offre une chaleureuse démonstration dans la Sonate pour arpeggione de Schubert. Elle fait ainsi chanter la beauté mélodique de l’œuvre sans le moindre sentimentalisme facile, grâce à l’énergie de son jeu, soutenue et partagée par son partenaire.

Liszt : Mephisto-Valse n°1, Valse oubliée n°1, 6 Grandes Études d’après Paganini, Grande Fantaisie de bravoure sur La Clochette de Paganini, Rhapsodie hongroise n°2 (cadenza de Paolo Marzocchi), Rêve d’amour (enregistrées du 1er au 3 décembre 2010). Decca 476 4418. Notice de Maurizio Baglini.
Le titre “Rêves” figurant en couverture doit-il être compris, non comme un slogan qui mettrait en vedette le seul Rêve d’amour, mais comme une allusion aux climats poétiques vers lesquels Maurizio Baglini incline dès qu’une page plus intime lui ouvre cette voie ? Toujours est-il que le charme de l’artiste opère en se parant de couleurs rêveuses. La Mephisto-Valse n°1, quelque "diabolie" que laisse entendre son sujet, ne manque pas de ces effusions qui, au-delà de la séduction sensuelle, laissent entrevoir les tristes pensées du compositeur endeuillé par la mort de son fils.
Une fois de plus, le son trop métallique du Fazioli nuit aux f de la Mephisto-Valse (comme de la 2ème Rhapsodie), et le piano se montre trop court de résonance pour les moments où le grave évolue comme en suspension : on sait que Liszt, avançant en âge, adopta une facture aux résonances longues dont il tirait parti pour accroître le nimbe autour de ses recherches harmoniques audacieusement dépouillées.
Enlevée avec prestesse, la Valse oubliée n°1 est traversée de lucioles qui lui donnent un sens plus ambigu que l’élégante tournure souvent privilégiée. Ce climat d’étrangeté conduit plus logiquement à l’état d’inachèvement caractéristique du Liszt des dernières années.
Le Rêve d’amour de Baglini ne traîne guère plus, ce qui évite un sentimentalisme "daté" ; mais le médium du Fazioli n’épouse point la grâce du propos.
À noter une innovation au point d’orgue de la Rhapsodie hongroise n°2 : la cadenza de Paolo Marzocchi se fond habilement dans le contexte, avec de jolies couleurs harmoniques et un chant s’élevant éloquemment des parties intérieures.
Poursuivant son entreprise sur le corpus des Études, Maurizio Baglini grave cette fois le cycle par lequel Liszt afficha au piano sa volonté de se poser en équivalent du virtuose “super-star” dont l’exemple avait stimulé sa vocation de concertiste : le violoniste Paganini.
Que les Études inspirées par un Italien nous reviennent sous les doigts d’un Italien, voilà qui signe une boucle élégante. L’Étude n°2, bijou d’esprit, et La Campanella, modèle de grâce aérienne, ravissent l’oreille ; dans la n°4 (Pizzicato), il nous semble assister à la caresse et aux voltes d’un essaim d’elfes sur le clavier. La Caccia (n°5) se pare d’échos cristallins, de cabrioles féériques. Les contrastes de la sixième – sur le 24ème Caprice de Paganini qui devait inspirer tant de compositeurs – font appel à un réel sens de la mise en scène des plans sonores. Récidivant l’apport documentaire réalisé sur le disque des Études d’exécution transcendante, Maurizio Baglini présente ici la version primitive de la célèbre Campanella : la Grande fantaisie de bravoure sur la Clochette de Paganini, antérieure même au premier stade du recueil (1838-40), trois fois plus longue que la rédaction définitive (1851) et sans grand rapport avec le traitement musical d’icelle. Cette pièce d’un quart d’heure, essentielle à la compréhension de l’essor du jeune prodige, commençait par une vaste introduction mystérieuse, puis un conduit fort délié– sorte de cadenza – amenait l’entrée en scène du thème de Paganini, autour duquel la virtuosité allait se compliquer au fil des pages. Il faut donc remercier Maurizio Baglini d’avoir osé braver ce déluge de difficultés.


Sylviane Falcinelli









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