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Alcune riflessioni ispirate da recenti creazioni ... |
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Some thoughts about recent creations .. |
De quelques réflexions inspirées par de récentes créations ...
Nous avions déjà largement évoqué sur ce site la préparation de la création du Septième Concerto pour orgue et orchestre de Jean Guillou. Qu'on nous permette aujourd'hui de livrer quelques émotions ressenties à l'écoute de la nouvelle oeuvre, donnée en première audition le 4 Octobre 2007 à Trebaseleghe (près de Padoue), le concert étant redonné le lendemain à Milan.
On sait combien le compositeur a développé une très personnelle et pertinente poétique de la combinatoire entre l'orgue et les diverses familles timbriques (cordes, vents, percussions) offertes par l'orchestre. Si les conditions posées par cette création italienne lui dictèrent un complexe orchestral (40 musiciens) plus réduit que le grand orchestre symphonique déployé dans d'autres de ses oeuvres concertantes, il n'en investit pas moins l'espace acoustique grâce à la plénitude de la vie expressive conférée à chaque instrumentiste, au puissant dramatisme du discours musical traversé de fulgurances et de tensions empoignant l'imaginaire, au foisonnant flux d'interréactions parcourant ce double monde sonore que viennent déchirer de saisissants éclairs de lumière colorée.
Dans les moments plus chambristes, les dialogues ou la conjonction entre les timbres de l'orgue et les solistes de l'orchestre fonctionnent comme un miroir de résonances ou de vibrations; les analogies ou les rebondissements entre familles parallèles de timbres orchestraux et organistiques deviennent un révélateur où l'individualité de tel type de sonorité particulière se voit exaltée par une mise en réplique avec d'autres de ses potentialités poétiques.
L'indication portée sur le thème initial, « Intensamente », résonne tel un mot-clé définissant l'acte créateur même de Jean Guillou. Le vaste premier mouvement (qui occupe la moitié de l'oeuvre) voit se succéder des climats puissamment contrastés à partir de l'impetus d'énergie généré par ce thème initial; une énergie « con fuoco », « con forza », pour citer d'autres didascalies.
Une brève accalmie recouvre le deuxième mouvement, empreint de « tendresse onirique » selon les mots de notre ami Andrea Borin. Il s'agit là d'un moment de repli « cantabile », avec de nombreuses interventions solistes de la part des musiciens de l'orchestre, avant le tempêtueux Finale, d'une explosive exubérance rythmique.
Au-delà des considérations esthétiques, que nous dit cette musique éruptive qui charrie des torrents de lave en fusion ? Le Septième Concertonous émeut aussi parce qu'il nous parle de Jean Guillou lui-même, de ses révoltes, de son insatisfaction à inscrire sa vie dans un monde où – en authentique artiste non dévoyé par les compromissions – il ne trouve pas ses marques. Ce révolté est un errant dont le regard au bleu magnétique demeure toujours fixé sur un horizon inatteignable dont lui-même repousserait sans cesse les limites, tant il semble qu'aucun espace définissable n'étancherait jamais sa soif de rêve. Il n'a pas besoin d'emprunter les chemins très convenus des fausses révoltes « politiquement correctes » pour afficher sa marginalité, et cela n'est pas toujours bien compris, d'ailleurs, dans un monde où les soi-disants « marginaux » s'avèrent les pires pourvoyeurs du consumérisme. Il vit sa rébellion à l'échelle de l'individualisme le plus intérieur, or c'est celle qui se prête à la lecture la plus universelle, qui touche le plus durablement le coeur des êtres par-delà les époques – les grands romantiques et la suprématie de leurs oeuvres au répertoire actuel nous le prouvent amplement... La musique de Jean Guillou nous transmet cette densité de champ gravitationnel, nourrie du binôme universalité/individualité, elle nous donne à partager l'explosion de libération intime par laquelle lui-même échappe aux confins de son humaine condition, la puissance démiurgique de l'esprit voulant qu'une force volcanique investisse, embrase une enveloppe à la paradoxale vulnérabilité.
Considérons par ailleurs la succession en une même année de deux oeuvres de vaste envergure dénotant un formidable renouvellement du langage du compositeur, deux oeuvres elles-mêmes complètement différentes l'une de l'autre. L'opus 69, La Révolte des orgues pour un grand orgue, huit orgues positifs et percussion, explorait un concept radicalement nouveau. L'opus 70 (le Septième Concerto) vient compléter un corpus pour un alliage toujours rare – hélas - , corpus dont chaque volet met en relief des richesses inaccoutumées. Rappelons qu'un ouvrage pas si ancien, l'opus 65, Épitases, révélait les potentialités d'un instrument expérimental, le Double piano à pédalier Borgato. On ne peut pas dire qu'avec de telles oeuvres, l'auteur mette les chances les plus commerciales de son côté, puisque, s'emparant d'expériences innovantes et profitant de cette confrontation pour donner à son langage de nouvelles impulsions expressives, il ouvre des portes et se montre dans l'éclat d'une nouvelle phase de son itinéraire créatif; ainsi nous laisse-t-il pressentir de futures et fécondes floraisons hors des sentiers battus.
En somme, notre compositeur de 77 printemps et 70 numéros d'opus, loin de s'installer dans ses acquis comme il advient souvent (et assez naturellement) après un aussi mémorable parcours, va sans cesse au-devant de nouveaux champs à défricher, quitte à multiplier les risques (ces risques qui honorent un créateur mû par sa seule nécessité intérieure) de composer pour des effectifs limitant les opportunités immédiates d'être fréquemment joué. Mais « mon temps viendra », prédisait Gustav Mahler qui, en concevant la Symphonie dite « des Mille » n'avait pas précisément fait preuve de réalisme; or, Mahler est devenu aujourd'hui un tel pilier du répertoire qu'on ne saurait plus dénombrer le nombre d'intégrales circulant au disque ou programmées en concert, qui intègrent l'irréaliste Symphonie !
Les concerts italiens des 4 et 5 Octobre, associant le compositeur-soliste à l'Orchestre de Padoue et du Veneto conduit avec autant de vigueur que de subtilité interprétative par Giuseppe Marotta, présentaient Jean Guillou sous diverses facettes de son art: virtuose, créateur, improvisateur, transcripteur (il y manquait le pianiste, l'écrivain, le pédagogue, pour faire le tour de son immense personnalité, mais enfin...), en somme une figure de portée lisztienne, puisqu'on pourrait accoler les mêmes (nombreux) attributs à l'un et à l'autre. De fait, on remarque entre Liszt et Jean Guillou une rencontre privilégiée par-delà les siècles, tissée de tout un réseau de subtiles mais manifestes affinités exprimées tout au long d'une vie. Cette rencontre se concrétise dans le travail de Jean Guillou par plus d'un demi-siècle d'interprétation élective des grands chefs-d'oeuvre lisztiens (rappelons qu'il avait obtenu en 1954 son Premier Prix d'orgue dans la classe de Marcel Dupré avec l'Ad Nos... tout un symbole !), mais aussi par la transcription de deux poèmes symphoniques (Orpheus, et Prometheus) ainsi que d'une pièce pianistique (la Valse oubliée n°1, récemment parue chez Schott). Lors de ces programmes italiens, Jean Guillou transcripteur apparaissait avec l'Orpheus, réappropriation de la part d'un organiste à l'indéniable sens orchestral, d'une partition symphonique écrite il y a un siècle et demi par un virtuose des claviers. À l'orée de chacun des concerts, l'enchantement naissait de l' imprévisible champ s'ouvrant, d'un soir à l'autre, sous les doigts de l'improvisateur.
Alors, certes, on aura noté que la première du nouveau Concerto a été organisée, suscitée (par l'Association ResMusica de Padoue) en Italie, et que la France attendra encore – combien de temps ? – avant de l'entendre, que La Révolte des Orgues avait été créée, suscitée (par Johannes Skudlik) en Allemagne avant d'être promptement reprise à Saint-Eustache, que Épitases avait vu le jour au Teatro Olimpico de Vicenza avant de connaître les ors versaillais... Faut-il se réjouir ou se désoler que les grands musiciens français soient aussi accueillis, écoutés à l'étranger tandis que leurs compatriotes semblent avoir besoin de cet aval venu d'outre les frontières pour s'apercevoir de leur existence ? Réagissons avec sagesse : que ne dirait-on pas si leur réputation ne débordait pas les limites de l'Hexagone, ne pourrait-on alors parler d'un triste provincialisme de leurs capacités expressives ? En revanche, le manque de soutien apporté par les autorités françaises aux projets un tant soit peu ambitieux de leurs musiciens a de quoi choquer: ces considérations me revenaient à l'esprit en écoutant le 21 octobre une importante création posthume de Rolande Falcinelli – les Quatrains d'Omar Khayyam pour quatuor à cordes, soprano et baryton, écrits en 1973 – qui faisait l'objet du concert inaugural d'un Festival en Belgique... Les interprètes wallons (le Quatuor Scaldis, Virginie Malfait, Michel Jakobiec), dont aucun n'avait jamais connu la compositrice en personne, rencontrèrent idéalement et spontanément le lyrisme de son message: quelle meilleure preuve de la validité d'une oeuvre à se transmettre au-delà de l'existence personnelle de son créateur ! Tous se disaient investis du contenu émotionnel de cette musique et désireux de poursuivre le chemin en s'emparant dans le catalogue de Rolande Falcinelli des pièces écrites pour leur instrument ou leur voix ; mais ils se disaient aussi indignés qu'une telle musique ne soit pas jouée plus souvent, subodorant ce que je leur révélai après le concert, à savoir les secrets d'un projet de « première » en France dès 1973 (par le plus fameux Quatuor français, alors à la pointe de la création contemporaine), à l'époque avorté pour cause de subvention refusée, l'oeuvre de Rolande Falcinelli ayant le tort de ne pas souscrire aux dogmes esthétiques (au terrorisme intellectuel, devrait-on dire) qui étendaient une véritable dictature culturelle sur les années 70.
La voix d'un nouvel orgue à Isola della Scala
Pour en revenir au périple italien de Jean Guillou, il s'achevait le 7 octobre 2007 à Isola della Scala, près de Vérone, par l'inauguration d'un orgue en l'Abbazia Santo Stefano. Plus que d'une restauration élargie (à partir d'antérieurs instruments de Farinati et Ruffatti), on pourrait parler d'un orgue nouveau puisque Diego Bonato (facteur né à Vérone en 1959) a procédé à des adjonctions qui représentent tout de même 40% de ce que l'on peut entendre désormais. À l'heure où d'aucuns s'extasient encore sur la construction de soi-disant « nouveaux » instruments conçus en copies d'anciens, donc dans le refus des apports requis pour l'interprétation du répertoire moderne, on saluera avec joie la naissance transalpine d'un orgue électrique à console mobile, équipé de 61 notes à ses trois claviers (dont Récit expressif) et de 32 notes au pédalier, ainsi que d'un combinateur électronique et d'une pédale de crescendo. Diego Bonato a procédé à un intelligent travail d'harmonisation, personnalisant notamment les Anches dont chacune apporte une touche richement colorée à un beau corps de Fonds; la Trompette en chamade dispense une émission charnue et originale, sachant se superposer sans agressivité à un ensemble qui véhicule sa part d'histoire post-romantique. L'amplification de la palette de registres et l'individualisation de l'harmonisation autorisent donc désormais l'interprétation du répertoire de toutes les époques, ce que le programme concocté par Jean Guillou démontrait magistralement. Avec une impériale autorité, le Maître colorait d'une évidence subjugante aussi bien Gesualdo (Canzone francese del principe) et Bach (Prélude et Fugue en mi mineur) qu'un Liszt somptueusement architecturé (Fantaisie et Fugue sur B-A-C-H dans sa version syncrétique); et, critère qui condamnerait immanquablement un pâle harmoniste, il a pu faire bénéficier ses propres compositions des plus personnelles ressources timbriques (trois des Sagas sonnaient ici avec le relief le plus éloquent), et s'adonner dans les Quatre Esquisses de Schumann aux recherches d'audacieux plans sonores qu'il aime y sculpter. L'improvisation finale permettait encore à Jean Guillou de révéler d'autres visages insoupçonnés de l'instrument.
On sortait de ce récital avec la pleine conscience d'avoir vécu un moment réconfortant à double titre: organologiquement, la perspective de disposer d'un instrument propice à une riche vie concertistique complète – que l'on espère voir se développer sous la conduite de son excellent titulaire, Roberto Bonetto - , et, musicalement, la conviction d'avoir reçu le rayonnement d'un accomplissement exceptionnel comme seul un grand Maître peut en dispenser la magie au public.
Sylviane Falcinelli
(Octobre 2007)
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