Il 30 Luglio 2008 il giovane organaro belga Franck Mahieu, assieme a Sylviane Falcinelli, ha incontrato Jean Guillou e gli ha formulato diverse domande relative alle sue concezioni organologiche. Ci è parso interessante introdurre i nostri lettori a questo scambio d'idee a tre voci.

On July 30th, 2008 the young Belgian organ builder Franck Mahieu met, together with Sylviane Falcinelli, Jean Guillou and asked him about his organological concepts. We thought it might be interesting to introduce this three-voice exchange of views to our readers.

L'ORGUE, terrain de recherches:
Entretien inédit avec JEAN GUILLOU

Le 30 Juillet 2008, le jeune facteur d'orgues belge Franck Mahieu, en compagnie de Sylviane Falcinelli, rencontrait Jean Guillou et lui posait diverses questions ayant trait à ses conceptions organologiques. Il nous a paru intéressant d'introduire nos lecteurs au sein de ce rebondissement d'idées conduit à trois voix.

F.M. : - Aviez-vous en tête depuis vos années estudiantines l'esthétique sonore qui vous est propre, ou bien vous êtes-vous trouvé un jour face à un orgue qui vous a ouvert de nouveaux horizons ?

J.G. : - Il ne s'est pas agi d'un orgue en particulier; c'est venu progressivement. Tout d'abord, l'Allemagne fut pour moi une révélation. À cette époque, l'horizon qui s'offrait à nous en France était assez fermé : on connaissait d'une part les Cavaillé-Coll, et d'autre part les instruments néo-classiques de Gonzalez. Pensez qu'en Allemagne, la réforme qui s'est opérée dès 1910 reposait tout de même sur quelque chose de sérieux : en effet, l'orgue romantique allemand, ce n'était pas Cavaillé-Coll, il présentait des côtés séduisants, certes, mais il s'avérait tout de même plus pauvre que l'orgue baroque. Donc, le fait que les Allemands retournent à leur orgue baroque se justifiait pleinement; d'autre part, les facteurs, tout en retournant à cette esthétique, ont malgré tout créé leur propre style. Par exemple, un orgue de Rieger, construit dans les années 1960, représentait tout autre chose qu'un Schnittger, c'était un instrument nouveau; on pourrait citer d'autres facteurs (von Beckerath, Klais), dotés d'une réelle personnalité, qui avaient quelque chose à dire. Et pour moi, ce fut une découverte; entendant ces instruments, ou leurs voisins hollandais, j'ai su tout à coup ce qu'étaient une Sesquialtera, ou tels types de mutations qui n'existaient pas, ou du moins pas de la même manière, en France. Cela m'a déjà ouvert des horizons. Puis j'ai joué des orgues de différentes époques; s'il y avait un jeu qui me plaisait particulièrement, j'allais voir à l'intérieur comment il était fait, je prenais des mesures, etc.. Voilà comment, petit à petit, je me suis forgé un idéal. D'ailleurs mon premier instrument, l'orgue de la Besnardière (près de Tours), n'est pas vraiment révolutionnaire, il présente juste un équilibre un peu différent; ensuite, j'ai conçu l'orgue de L'Alpe d'Huez, qui est plus innovant, surtout s'appliquant à un petit instrument, défi qui m'intéressait particulièrement. Car on a construit suffisamment d'instruments énormes, plus énormes encore que le Wanamaker, voyez Atlantic City ! Alors, on ne peut guère aller plus loin... [en riant] enfin on peut toujours, mais cela n'aurait aucun sens !

F.M. : - Avez-vous joué Atlantic City ?

J.G. : - Non, il est actuellement en restauration, mais lors de mes passages aux Etats-Unis, il n'était plus en service.

F.M. : - Dans L'Orgue, Souvenir et Avenir [p. 92], vous parlez du brevet déposé par David Cogswell, à partir de la mécanique des fluides ; pourriez-vous revenir sur le principe de cette transmission ?

J.G. : - Ce qui est extraordinaire dans ce système, c'est qu'il n'y a plus aucune mécanique, l'orgue est mû par le vent, uniquement ! Abolissant tout mécanisme, donc, il recourt au principe selon lequel l'air – ou tout fluide – suit la paroi qui le guide; si un nouveau courant est envoyé de manière plus forte, celui-ci prend alors la prééminence. Ainsi, les touches envoient un courant d'air qui suit les parois au gré de la pression donnée: il y a plusieurs pressions différentes, qui prennent chacune le pas sur l'autre au cas ou vous appelez tel accouplement ou le supprimez. Ce qui est terrible, c'est que Cogswell n'a jamais pu faire réaliser ce système; même en Amérique, aucun facteur ne lui a donné l'opportunité de le concrétiser. Cet homme était ingénieur (il me semble qu'il travaillait pour la NASA), et, en-dehors de ses activités scientifiques, il était passionné par la facture d'orgue.

F.M. : - Le temps ayant passé depuis, ce système a-t-il encore un avenir ?

J.G. : - Non. Il ne reste que l'intérêt scientifique, car, avec les possibilités offertes de nos jours par l'électronique, ce serait beaucoup plus compliqué de construire un orgue selon ce principe, pour un résultat offrant bien moins de possibilités.

F.M. : - Pour rester encore un peu aux États-Unis, on voit certains instruments adjoindre à l'orgue à tuyaux un 32 pieds électronique, lorsque manque la place pour installer un jeu réel.

J.G. : - J'ai en effet joué des instruments de ce type, où on rajoutait des jeux électroniques, mais on entend que la source est artificielle, que le son vient par les hauts-parleurs. En somme, cela permet de s'offrir un luxe supplémentaire sans avoir à payer le prix d'un 32 pieds ! Mais personnellement, je me refuserais à le faire sur un orgue conçu par moi, ne serait-ce qu'à l'idée de faire intervenir un tel artifice. Et le pire, c'est que l'on ne se contente pas de 32 pieds, on ajoute quelquefois des jeux complets par l'électronique, ce qui est horrible !

F.M. : - Que pensez-vous du système "Unit", et des accouplements par octaves aiguës et octaves graves ?

J.G. : - On ne peut pas tout définir avec un mot. "Unit", pour moi, cela ne veut rien dire. D'abord, a priori, avoir des jeux repris en octaves aiguës sur un orgue, je trouve cela anti-musical : les mixtures sont complètement transposées, cela crie, dans le suraigu on n'entend plus rien ... Les octaves graves peuvent apporter quelque chose, mais les octaves aiguës, non! Si l'on veut parler de l'orgue de l'Abbé Vogler [1749-1814], par exemple, je dis que cela ne peut mener à rien. C'était certes un personnage extraordinaire, qui avait fait construire un instrument avec presque rien. Tout était repris comme cela, par octaves aiguës et octaves graves.

F.M. : - L'Abbé Vogler était l'auteur d'un traité d'acoustique. Son "orchestrion" était dicté par une volonté d'économie. À partir de là, est-ce intéressant organologiquement ?

J.G. : - Oui, mais pas dit comme cela, ni fait comme cela. J'applique des extensions d'un autre type sur l'orgue de Ténériffe et sur l'orgue en cours d'achèvement à l'Église des Portugais de Rome : il y a tout un clavier construit avec des rangs de tuyaux sur 73 notes. Mais chaque jeu est pris d'une manière ou d'une autre sur tel ou tel clavier, et cela n'a rien à voir avec l'idée de l'"unit".

S.F. : - J'aimerais que vous décriviez un peu plus ce que vous avez conçu avec ces 73 notes à Rome. L'extension va-t-elle dans le grave ou dans l'aigu ?

J.G. : - Dans le grave ! De toute manière, ce sont les jeux les plus graves, donc les 16 pieds, qui sont utilisés: au départ, il s'agissait des jeux de pédale, mais construits sur 73 notes, puis il y en a eu d'autres. Cela signifie que les mêmes jeux sont utilisés sur une octave ou sur une autre, sur tel ou tel clavier; cela donne un enrichissement énorme, et permet d'utiliser au maximum tout ce matériel le plus coûteux des jeux de 16' et de 8'. Admettons qu'il y ait six ou sept jeux dotés de 73 notes: ils sont déterminés et construits en vue de cette utilisation, ce qui signifie qu'il ne peut pas s'agir de n'importe quel jeu (ce ne peut être une mixture "normale", ni un cornet). La caractéristique de ces jeux est qu'ils se métamorphosent au long de l'échelle : par exemple, il y a une Flûte de 16' ouverte, qui devient ensuite Flûte harmonique de 8' sur un autre clavier. La Flûte de 4' commence en Gemshorn et devient Nachthorn. Ou encore la petite mixture avec Grosse Tierce, Grosse Septième, Grosse Neuvième, que j'utilise au pédalier en résultante de 32' et au manuel en résultante de 16'. Pour mon Orgue à Structure Variable, j'ai conçu une Clarinette de 16' qui devient ensuite Voix humaine, puis Cor anglais; une Flûte harmonique qui devient Nachthorn; une Douçaine qui devient Hautbois; un Cromorne qui se métamorphose en Trompette, etc...

F.M. : - Dans le cas de ce dernier exemple, est-ce à dire que vous reprenez une partie d'un Cromorne de tel clavier et une partie d'une Trompette d'un autre clavier ?

J.G. : - Ah non ! Il s'agit d'un même jeu qui se métamorphose sur son parcours.

S.F. : - Tant qu'à construire des jeux sur 73 notes, pourquoi n'avoir pas repris le concept que Marcel Dupré appliqua sur son orgue de Meudon, à savoir des claviers de 73 notes ?

J.G. : - Non, je n'en vois pas l'intérêt, surtout si l'octave supplémentaire est dans l'aigu, et si on l'envisageait à l'autre opposé, les Mutations et les Mixtures deviendraient trop graves par reprises. Ce ne serait intéressant qu'en octaves graves, mais cela coûterait fort cher ! Mes claviers n'ont que 61 notes, et les jeux concernés sont utilisés d'une manière ou d'une autre.

S.F. : - En revanche, vous appelez de vos voeux une extension du pédalier.

J.G. : - Oui, si j'ai l'occasion de l'appliquer un jour, je souhaite avoir un pédalier de 3 octaves (Do à Do).

S.F. : - Comment le configureriez-vous par rapport au centrage des claviers ?

J.G. : - La position serait identique; on ne peut pas changer la position sans transformer la technique des organistes. Peut-être cela viendra-t-il un jour ? La partie aiguë serait certes assez éloignée, mais je crois que ce serait jouable. J'ai connu cela avec le Double piano Borgato, mais la disposition était différente puisqu'il commençait au La et se terminait au La. Pour ma part, le La grave ne m'intéresse pas.

S.F. : - Vous avez évoqué aussi [p. 105 de votre livre] les expériences de double pédalier ayant été tentées.

J.G. : - Je crois qu'il n'en subsiste plus nulle part. Il y eut autrefois un double pédalier à Saint-Eustache [sur le Daublaine et Callinet qui a brûlé en 1844], et aussi sur le Walcker de Francfort... Mais je crois que cela compliquerait tellement les choses, c'est un peu un luxe, et puis l'accessibilité des touches est assez contestable...

S.F. : - Il n'en reste pas moins intéressant de se souvenir qu'à toutes les époques, l'esprit de recherche a exploré des développements nouveaux.

J.G. : - Oui, certainement !

S.F. : - Vous parlez souvent dans vos textes de recherches sur de nouvelles formes de tuyaux, pour améliorer l'émission du son. N'avez-vous jamais pu les faire appliquer au cours de vos collaborations avec divers facteurs ?

J.G. : - La seule chose que j'aie pu faire appliquer, c'est le pied avec le vent dirigé vers la bouche. Tout un jeu de Principal a été construit par Kleuker selon ce principe: je le possède toujours, il est maintenant chez Klais et servira si on construit l'Orgue à Structure Variable dont il sera effectivement le Principal. Le résultat s'avère assez séduisant : Kleuker avait construit parallèlement un jeu "normal", avec exactement les mêmes tailles, ainsi a-t-on pu entendre dans son atelier ce que donnaient l'un et l'autre. Et nous nous sommes aperçus que le jeu construit avec mon type de pied donnait l'impression d'un jeu beaucoup plus large, avec une attaque encore plus précise.

S.F. : - Les formes dont vous avez publié les dessins visent à ce que l'air soit orienté de manière très directe, à ce qu'il ne se perde pas en spirales inutiles.

J.G. : - Oui, et c'est selon que l'on conserve le pied traditionnellement conique ou qu'on le construit droit comme je le préconise.

S.F. : - Et pourquoi ne diffusez-vous pas plus largement ce pied sur les orgues que vous avez fait construire ?

J.G. : - Tout simplement parce que cela demande plus de travail. Kleuker l'avait fait parce que l'expérience l'intéressait aussi.

S.F. : - Il eût été intéressant que Mascioni vous emboîte le pas pour l'appliquer aussi sur le nouvel orgue de Rome.

J.G. : - Je n'ai pas osé trop en demander !

F.M. : - Dans votre esthétique, on note l'absence de gambes.

J.G. : - Je dois dire que c'est une question de goût: je n'ai jamais été attiré par ce jeu. Ce son aigre, vraiment, cela ne me dit rien du tout !...

S.F. : - Une belle gambe n'est pas aigre !

J.G. : - Qu'est-ce qu'une belle gambe ?

S.F. : - Une gambe de Cavaillé-Coll ne saurait être qualifiée d'aigre.

J.G. : - Certes, mais à ce moment-là... je n'aurais jamais envie de l'utiliser seule. Si je la mélange avec l'ensemble des fonds, cela donnera quelques harmoniques aiguës de plus, cela "dessinera" peut-être davantage les contours musicaux. Mais payer le prix d'un 8 pieds pour avoir ce timbre-là, [en riant] je préfère avoir autre chose !

F.M. : - On peut penser à d'autres applications de la gambe; il y en a qui sont fort pincées. Par exemple, à la Cathédrale de Tournai, on en trouve une au Positif, et parfois on s'y méprendrait avec une petite anche.

J.G. : - En effet, si elle est vraiment très étroite.

F.M. : - De ce point de vue, ne pourrait-on envisager qu'un tel type de gambe prenne une place de pseudo-jeu d'anches sur un orgue de salon ? J'avais lu dans le petit ouvrage de Marcel Dupré sur la facture d'orgues qu'aux États-Unis, avait été mis au point une gambe à très forte pression, destinée aux orgues de salon. Ainsi les propriétaires n'auraient-ils pas été contraints d'accorder un tel jeu aussi souvent qu'une anche.

J.G. : - [sceptique] Oui, bien sûr... Mais enfin, il faut savoir ce que l'on veut : personnellement, cela ne m'intéresserait pas du tout d'adopter ce genre de solution, car c'est l'anche qui donne une vie spéciale au jeu. D'ailleurs, pour un orgue de salon, un véritable jeu d'anches – supposons avec un corps deux fois plus petit – coûtera moins cher qu'une gambe. Donc il vaut mieux préférer un jeu d'anches à corps court.

S.F. : - Ce que Dupré aimait dans les claviers de "strings" (ensembles de jeux gambés) qu'il avait découvert aux États-Unis, c'était l'attaque des gambes qui se rapprochait de l'attaque des cordes par le talon de l'archet. Inspiré par ces particularités de la facture américaine, il en a tiré de véritables "effets spéciaux", d'un mordant servant la violence du propos, dans la Symphonie-Passion et Le Chemin de la Croix.

F.M. : - Sur les orgues américaines du type du Wanamaker, on peut commander depuis les claviers un piano, un xylophone, adjoignant des sonorités insolites à l'orgue.

J.G. : - Je trouve cela très intéressant. On trouve encore actuellement des instruments où il y a ce qu'ils appellent une "harpe", et qui est en réalité une sorte de marimba ou de vibraphone. Cela sonne très bien. D'ailleurs, j'en avais fait installer un à Ténériffe: le facteur avait acheté un marimba de ce genre qui était en vente en Amérique. Comme sur un marimba, vous avez des lamelles avec des tubes de résonance en-dessous.

F.M. : - Comment employez-vous un tel "jeu", seul ou en complément d'une registration, pour son attaque ?

J.G. : - Seul, très souvent; c'est un effet. Au cours d'un récital, une occasion peut se présenter, encore faut-il savoir avec quelle oeuvre, pourquoi et à quel endroit ! Par exemple, on pourrait envisager de jouer ainsi l'Andante K.V. 616 de Mozart (pour un orgue mécanique de deux jeux: "für eine Walze in einer kleinen Orgel"), en l'associant même à un Bourdon ou à une Flûte de 4', ou à une mutation; cela peut être séduisant.

F.M. : - Concernant l'ergonomie des consoles d'orgue, que conseilleriez-vous ?

J.G. : - J'ai fait faire à Saint-Eustache une console différente de ce que l'on voit d'habitude. Les claviers ont des mesures de claviers de piano, c'est-à-dire des touches blanches de 5 centimètres; à Ténériffe, j'ai même fait construire des touches blanches de 6 centimètres, et l'on a un sentiment très agréable. D'autre part, le premier clavier – le Positif – est assez proche pour qu'on ait une attitude naturelle en jouant sur le Grand-Orgue. Il y a aussi une chose qui me dérange beaucoup sur la plupart des instruments dits modernes: on y superpose les claviers en les faisant trop avancer l'un au-dessus de l'autre, ce qui empêche de jouer par exemple des traits en octaves, etc... On se blesse souvent les doigts contre les touches du clavier supérieur. Le plus drôle est qu'on prétend construire à la manière baroque, n'est-ce pas, alors que les baroques n'ont jamais superposé ainsi les claviers. Il y a des idées qui circulent, complètement perverties.

F.M. : - Pour prendre une référence, une superposition avançant comme sur les Cavaillé-Coll n'est pas dérangeante ?

J.G. : - Cela dépend. Je n'ai plus d'exemples précis en tête, mais Cavaillé-Coll superposait avec une certaine avancée, tout de même.

F.M. : - Donc, ce serait pour vous un maximum, et vous préféreriez prendre la console de Saint-Eustache en référence.

J.G. : - Oui. Le seul inconvénient, c'est que les claviers sont vraiment très écartés. On pourrait économiser un peu d'étagement, les rapprocher légèrement, très légèrement.

S.F. : - Rolande Falcinelli tenait beaucoup à des mesures favorisant l'accessibilité d'un clavier à l'autre, pour jouer simultanément d'une même main sur deux claviers ou passer prestement, dans le fil du discours, d'un clavier à l'autre.

J.G. : - Oui, mais à Saint-Eustache on peut jouer facilement de cette manière. Quant au pédalier, il est beaucoup plus étroit qu'un pédalier allemand. Le Sol arrive à peu près au niveau du Fa d'un pédalier allemand. Un écartement excessif des touches de pédale n'a aucun sens. D'ailleurs, la plupart des organistes allemands, habitués à jouer sur leurs pédaliers, se trouvent très à l'aise sur la console de Saint-Eustache, quand ils viennent y donner un concert.

F.M. : - Que pensez-vous des pédaliers américains (radiaux) ?

J.G. : - ... adoptés aussi par les Italiens et les Anglais. C'est une vue de l'esprit ! C'est stupide car, si l'on joue bien, on est toujours en contact avec les touches au même endroit, c'est-à-dire au plus près des touches noires. Donc la disposition radiale n'est d'aucun effet.

F.M. : - Certains organistes disent qu'ainsi, ils peuvent accéder plus facilement avec les talons aux extrêmités du pédalier.

J.G. : - [Il émet d'abord un "Pfft" de mépris, puis retourne l'argument par ironie:] Effectivement, parce qu'avec toutes ces mesures mal conçues, qu'elles soient américaines, italiennes, ou allemandes, les extrêmes sont renvoyés beaucoup trop loin ! Il est donc plus difficile de les atteindre, et l'on est porté à jouer vers l'arrière des touches pour y trouver une mesure praticable. Tandis qu'avec de bonnes mesures, le pédalier non radial est très facile à jouer.

F.M. : - Pour le pédalier de trois octaves que vous évoquiez précédemment, vous conserveriez ces mesures, mais sur une disposition simplement prolongée.

J.G. : - Oui.

F.M. : - Pour en revenir à la disposition des claviers, le premier clavier, à Saint-Eustache, est le Positif.

J.G. : - Cela me semble tout à fait logique. D'abord, cela répond à une habitude que d'avoir le Positif comme premier clavier puisque sur les orgues baroques, il était de dos. Vous me direz que toutes les habitudes sont discutables, et que cela n'a plus de sens sur un orgue moderne... Il me semble tout de même que sur un orgue à 5 claviers, où il faut penser à ce que le cinquième ne soit pas trop éloigné, le premier doit être par conséquent assez avancé: donc, toujours jouer sur le Grand-Orgue dans cette position deviendrait vite désagréable.

S.F. : - Encore faut-il que le premier clavier soit effectivement assez bas, ce qui est indispensable sur un cinq-claviers.

J.G. : - Oui, plus près et plus bas encore que ce qui fut réalisé à Saint-Eustache.

S.F. : - Parlons maintenant du toucher sensitif d'ELTEC qui va équiper votre orgue romain de l'Église des Portugais.

J.G. : - Voilà une idée nouvelle ! Ayant été scandaleusement écarté de l'orgue que j'avais conçu pour Ténériffe, je n'ai jamais eu l'occasion, jusqu'à maintenant, de travailler assez longuement sur un instrument de ce type. J'avais joué auparavant un orgue qui avait été construit avec un toucher de ce genre en Suisse...

S.F. : - ... mais qui s'était très vite déréglé [le système Syncordia a précédé le "toucher proportionnel" d'ELTEC].

J.G. : - Hélas oui. Mais au moment de sa construction, il avait marché puisque j'avais pu le jouer quelques heures. J'étais absolument enchanté, car j'avais compris qu'on pouvait ainsi développer une technique nouvelle, en enfonçant plus ou moins les touches, ceci naturellement en fonction des registrations utilisées, car l'effet d'une transmission sensitive n'est pas le même sur un jeu d'anches ou sur un jeu de fonds. Supposons que je joue une pièce très délicate, par exemple une Sonate de Scarlatti, avec un 8 pieds puis une Flûte de 4' et Tierce 1' 3/5 : selon que je joue telles notes en enfonçant à moitié et lentement les touches, ou que j'enfonce une note complètement et rapidement, ces jeux parleront différemment. Mais jusqu'à quel point, je dois encore l'expérimenter. Ce qui est certain, c'est que l'on parle toujours de la transmission mécanique comme d'une transmission idéale, n'est-ce-pas ! Or la transmission électronique est encore plus précise que la mécanique. En effet, avec la transmission mécanique, vous êtes quasiment obligé d'enfoncer la touche immédiatement et complètement puisque, à cause de l'échappement, le doigt est porté à aller jusqu'au bout de la course; tandis qu'avec la transmission sensitive, c'est vous qui pouvez en décider.

S.F. : - A-t-on maintenant un peu de recul sur le système d'ELTEC ?

J.G. : - Oui, même si ce système est très récent. Je crois que Ténériffe était le premier instrument à l'intégrer.
[Un ingénieur de chez ELTEC nous a confirmé que le toucher sensitif n'équipe pour l'heure que Ténériffe et l'Eglise des Portugais à Rome; autrement dit que Jean Guillou a seul osé se faire le promoteur de cette innovation.]

S.F. : - Peut-on choisir le réglage de cette transmission ?

J.G. : - Naturellement. On peut choisir la transmission la plus lente, ou au contraire déterminer qu'elle ouvre complètement la soupape à mi-course. Le réglage ne peut se faire que de cette manière : ou bien la transmission n'ouvre complètement que si la touche est totalement enfoncée, ou bien elle ouvre complètement dès la mi-course, ou à 3/4 de course.

S.F. : - Avec un réglage depuis la console ?

J.G. : - Oui.

S.F. : - Mais quel énorme enjeu au niveau du réapprentissage de la maîtrise du toucher !

J.G. : - Oh, énorme, je ne sais pas ! Enfin, oui, peut-être... C'est-à-dire que, soit on jouera ces orgues normalement, comme on joue partout, soit on cherchera à donner quelque chose de particulier.

F.M. : - Si vous deviez construire un petit orgue de 14 jeux sur 3 claviers, en laissant libre cours à votre imagination, est-ce que pour un si petit instrument vous choisiriez une transmission mécanique avec les accouplements électriques traditionnels, ou vous orienteriez-vous directement vers la transmission sensitive ?

J.G. : - Dans ce cas, j'adopterais effectivement une transmission électronique. Mais cela dépend aussi de la composition de l'orgue.

F.M. : - Même pour un petit instrument, même dans une pièce qui ne serait pas forcément immense, il vaut mieux avoir une console mobile. C'est toujours plus agréable pour l'écoute.

J.G. : - Oui, pour être un peu à l'écart de l'instrument.

F.M. : - Et aussi pour faire de la musique de chambre.

J.G. : - Le plaisir de jouer avec d'autres instruments...

F.M. : - Peut-on voir un précurseur de ce toucher sensitif dans le toucher Erard que vous évoquez dans votre livre [p. 137: l'orgue construit "pour le palais du Luxembourg, dont les soupapes offraient la particularité de pouvoir s'ouvrir progressivement, selon le toucher de l'organiste, et de moduler ainsi l'intensité du jeu"] ?

J.G. : - Si je me souviens bien, Erard avait créé un toucher qui permettait, selon que l'on enfonçait plus ou moins la touche, d'avoir un jeu de plus, c'est-à-dire de changer la registration. En fait, c'était une sorte de combinaison. Il n'était pas le seul à chercher dans cette direction, car un facteur italien du XIX ème siècle avait construit un instrument selon ces critères. Les Italiens étaient très inventifs, et ont créé des choses étonnantes dans le domaine de la facture d'orgue.
[Un nouveau chapitre dédié aux progrès de la facture d'orgue en Italie au fil des siècles viendra enrichir l'édition italienne de L'Orgue, Souvenir et Avenir (traduction et vérifications documentaires de Michele Fantini Jesurum), en attendant une reprise de ces précieuses adjonctions dans une nouvelle édition française. Citons ici quelques lignes relatives à notre sujet : << G.B. de Lorenzi (1806-1883) construisit plus de 100 orgues. [Il] inventa l'orgue fonocromico permettant un toucher expressif. Selon que l'on enfonçait plus ou moins la touche, celle-ci faisait parler un ou deux tuyaux de même timbre. Il présenta cet instrument à Paris en 1855. Il inventa également le réservoir à double pression. On peut être étonné de voir à quel point les inventions les plus ingénieuses, souvent, suscitent peu d'attention. On pourrait imaginer que de telles idées aient éveillé l'admiration, l'enthousiasme des spécialistes; il n'en est rien cependant, dans la plupart des cas, car il est bien vrai que le plus grand nombre des hommes aime la routine et n'a cure de se trouver bouleversé dans ses habitudes !>>]
Maintenant, l'électronique aidant, on peut même avoir ce que Saint-Eustache permet, par exemple un accouplement au soprano (ou à l'alto), c'est-à-dire que la partie de soprano (ou d'alto) bénéficiera de tel clavier accouplé alors que les autres voix ne l'auront pas, ce qui permet de faire ressortir la voix concernée. J'ai utilisé ce procédé dans mon intégrale Franck, à certains moments.

F.M. : - À Bruxelles, j'ai entendu dire qu'un fabricant d'orgues de Barbarie aurait mis au point un système de soupapes qui répond au millième de seconde et permet d'avoir une pression modulable. En fait, on peut choisir, en jouant, la pression d'air qui va arriver dans les tuyaux, selon que l'on veut jouer plus ou moins fort. Je suppose néanmoins qu'un tel système pose un problème d'accord de la tuyauterie.

J.G. : - Selon les jeux, cela évolue différemment, en effet. En Suisse, un facteur a construit un orgue présenté comme révolutionnaire, jouant aussi sur la modulation des pressions. Je n'ai jamais eu l'occasion de le voir par moi-même, mais je pense qu'il s'agit de quelque chose de tout à fait novateur et intéressant.
[Il s'agit de l'instrument présenté à la Haute École des Arts de Berne, et développé sous l'impulsion de Daniel Glaus grâce au Fonds national suisse de la recherche scientifique: jouant sur l'alimentation en air, il permet à l'artiste de moduler les pressions, même après qu'il ait enfoncé les touches, pour réaliser des effets de vibrato, de crescendo, d'estompe du son. Nous renvoyons le lecteur à l'article paru dans la revue Sciences et Avenir d'avril 2004].

F.M. : - Et concernant les coupures aux claviers et pédalier ?

J.G. : - Pour ma part, je n'ai jamais été intéressé par cela.

S.F. : - Cela ouvre des perspectives de répartition démultipliée de l'écriture.

J.G. : - Mais le clavier devient alors si petit... On se retrouve avec à peine plus d'une octave de chaque côté...

S.F. : - Non, sur l'orgue de Marcel Dupré à Meudon, les coupures étaient réglagles, mais il faut dire qu'elles s'appliquaient à des claviers de 73 notes. Ainsi peut-on varier la répartition coloristique des harmonies, ce que Dupré a fait dans ses Nymphéas, oeuvre expérimentale destinée à son orgue : par le jeu des coupures et des sostenutos sur ses 4 claviers, il passe sans cesse d'une couleur harmonique à une autre; ce n'est pas pour rien qu'il a choisi les Nymphéas de Claude Monet, une oeuvre procédant par touches impressionnistes, pour illustrer ses conceptions.

J.G. : - Égoïstement, je dois dire que pour ma musique, je ne suis pas très tenté par cela.

F.M. : - En ce qui concerne les boîtes expressives, vous écrivez dans votre livre qu'un seul clavier expressif suffit. Marcel Dupré, lui, cherchait à multiplier les boîtes expressives [voir sur notre site l'article de Sylviane Falcinelli : L'Orgue à la conquête de son futur].

J.G. : - C'est intéressant, évidemment, mais l'ennui d'une boîte expressive, c'est qu'un jeu ne sonne jamais de la même manière. Je veux dire que dans un buffet "ouvert", on entend l'émission vraiment directe et pure des tuyaux, tandis que si vous les enfermez derrière des jalousies, même quand elles sont ouvertes, ils ne sonnent plus de la même manière. Là réside le problème: on enlève la pureté d'émission, la présence sonore et vivante, à cause des boîtes expressives. J'imagine que l'on parle de conceptions complètement différentes car Marcel Dupré pensait à de gros instruments, avec des parties éloignées...

S.F. : - Son désir était d'étendre les nuances à tous les registres, à l'instar de l'orchestre où tous les groupes instrumentaux sont à même de produire des nuances. Dans les plans de Marcel Dupré, les ouvertures de boîtes expressives auraient été pré-réglables et enregistrables sur les combinaisons, de manière à ce qu'elles fassent pleinement partie du jeu et de la registration.

J.G. : - Évidemment, ainsi conçu... D'ailleurs, sur mon Orgue à Structure Variable, ce serait comme cela, puisqu'une grande partie des buffets seraient expressifs. Les côtés et le fond des buffets seraient en bois, et les jalousies en plexiglas, ou plutôt en verre, car on m'a fait valoir que le plexiglas vieillit mal, et que le verre serait préférable. Il s'agirait probablement d'un verre à double paroi, afin que l'air entre les deux parois joue aussi un rôle isolant. Ce serait plus favorable qu'un verre très épais qui, d'abord, présenterait le défaut d'être horriblement lourd, et, d'autre part, isolerait moins bien que deux parois plus étroites.

F.M. : - Selon certaines sources, Cavaillé-Coll aurait affirmé que, pour rendre le récit le plus expressif possible, il fallait en tapisser l'intérieur de verre. (*)

J.G. : - Je ne connaissais pas cet argument. Mais pensez-vous que cela pourrait fonctionner pour mieux isoler, non pas au niveau des jalousies cette fois, mais au niveau des parois du récit ?

F.M. : - Le but n'étant pas seulement d'isoler davantage, mais aussi de refléter le son, de le projeter efficacement.

J.G. : - Je n'ai pas l'impression que le verre soit particulièrement favorable. Je sais bien qu'il faut une matière très dure, mais tout de même... Près de Los Angeles, la Crystal Cathedral est un immense vaisseau entièrement de verre : or l'acoustique n'y est pas très bonne. Mais il faudrait se livrer à une investigation sur les sources concernant l'idée de Cavaillé-Coll.

F.M. : - Dans votre livre [p. 139], vous faites allusion au Cavaillé-Coll de l'église Saint-Vincent-de-Paul (1852), "avec ses sommiers en verre".

J.G. : - En fait, le cadre était en bois, et la paroi en verre permettait de voir les soupapes en action. Je ne sais pourquoi il avait fait cela; peut-être par curiosité, afin que les gens puissent voir ce qui se passe à l'intérieur d'un sommier, peut-être aussi par commodité, puisque si une soupape se coince, on voit tout de suite laquelle est en cause... Mais tout cela a été mis au feu par Gonzalez ! Comme tant d'autres instruments qui étaient des chefs-d'oeuvre et dont la bêtise et les intérêts matériels nous privent aujourd'hui (j'en ai donné la liste dans mon livre) !

F.M. : - Parmi tous les instruments que vous avez joués, avez-vous remarqué une différence dans la manière dont agit l'expression sur l'émission du son, selon que les jalousies sont horizontales ou verticales ? On a émis de grandes théories à ce sujet.

J.G. : - Encore faut-il savoir l'emplacement du clavier expressif dans le buffet ! S'il se trouve à je ne sais combien de mètres de hauteur et que des jalousies horizontales dirigent vraiment le son vers le public, alors c'est très bien. Mais si les jeux en boîte expressive sont placés assez bas, je ne vois pas pourquoi on devrait encore abaisser le son dans le vaisseau !

F.M. : - Si vous deviez retenir la plus grande innovation, l'avancée la plus spectaculaire qui ait révolutionné l'orgue depuis le XVIIIème siècle, que désigneriez-vous ?

J.G. : - Il n'y a pas qu'un élément à prendre en compte. Certes, je pourrais toujours dire que le fait d'équiper l'orgue de combinaisons a permis de jouer d'une manière qui était auparavant impossible. Mais enfin, on ne peut pas faire reposer toute l'esthétique d'un orgue sur cela. Donc, chaque époque a apporté quelque chose; il est difficile d'affirmer que ceci fut plus important que cela.

S.F. : - Ne vous semble-t-il pas que l'on pourrait encore faire des recherches sur les choix de matériaux ?

J.G. : - On a probablement déterminé quels étaient les matériaux les plus favorables. Maintenant, on n'a sans doute pas fait toutes les expériences possibles et imaginables. Toutes sortes de matériaux nouveaux ont été conçus, peut-être pourrait-on construire des tuyaux qui sonnent bien avec de tels matériaux, je ne sais pas... Ce peut être une expérience à tenter.

S.F. : - Et dans le domaine de l'alimentation en vent ?

J.G. : - Je crois que le principe le plus fiable, c'est le soufflet faisant partie intégrante du sommier. Kleuker construisait toujours comme cela. Et actuellement, Klais pratique souvent ce principe.

F.M. : - Un autre domaine dans lequel il reste à développer les recherches, a trait à l'acoustique. Vous-même pensez à des cônes qui seraient à placer à l'arrière des parois des buffets, pour réfléchir le son.

J.G. : - C'est en somme ce que les Grecs avaient fait dans les théâtres antiques. Des parties côniques placées en arrière recueillaient le son et le renvoyaient. Ce serait compliqué à réaliser dans l'orgue, mais je suis certain que l'on pourrait obtenir un résultat intéressant.

F.M. : - On pourrait essayer dans un petit orgue.

J.G. : - Oui, cela en vaudrait la peine. Supposons, à l'arrière de la boîte expressive par exemple, ou d'un des buffets s'il fait trois mètres de longueur, trois cônes assez larges de 50 ou 70 centimètres. L'expérience serait à tenter.



(*) Il semblerait que l'on puisse trouver quelques pistes sur cet usage du verre projeté par l'illustre facteur dans l'ouvrage de Pierre Veerkamp, qui travailla dans les ateliers de Cavaillé-Coll : "L'orgue à tuyaux" (Première publication par T. von Eck et V. Timmer; Format A4, 213 pages, illustrations, registres et résumés, textes en anglais, allemand, néerlandais et frison, 1986, actuellement épuisé, voir sur le site   www.cavaille-coll.com/PubMonographies.html





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